C'était un jour que tous ses admirateurs savaient plus proche que lointain. Antonine Maillet s'est éteinte dans le 17 février à son domicile de Montréal.
Est-ce un hasard si sa grande âme est partie alors qu’une tempête d’une ampleur exceptionnelle s’abat sur sa province d’adoption, une tempête que l’on pourrait qualifier de tempête du siècle? Montréal enregistre un record de 72,4 cm de neige, du jamais vu en 125 ans. J’écris ces lignes depuis le nord-ouest du Nouveau-Brunswick où la tempête du siècle a également frappé, heureusement sans panne d’électricité ni désagrément majeur, si ce n’est celui que de la surabondance de la neige. Le pelletage à répétition réveille les muscles de mes bras et de mes côtes, en plus d’engourdir mon pouce droit. Jusqu’ici, l’hiver avait été léger en termes de neige, mais très froid et particulièrement rigoureux côté température.
Cette superbe phrase, « La vie est juste en face », nous a été rapportée par l’éditeur Pierre Filion, de Leméac. En entrevue aujourd’hui à Radio-Canada, M. Filion a livré un témoignage émouvant. Ce dernier a déclaré qu’Antonine Maillet écrivait toujours. Il avait eu l’occasion de la voir peu de temps avant son décès et, parmi les feuillets que l’autrice lui aurait partagés, il aurait lu cette petite phrase prémonitoire quant à son avenir rapproché.
Cela pourrait prendre un certain temps, mais nous aurons sans doute le bonheur de découvrir de nouveaux textes publiés à titre posthume. Sans en avoir peur, la mort intriguait Antonine Maillet. Elle disait même avoir hâte de mourir pour voir ce qui se trouve « de l’autre bord ». Elle ne la redoutait pas, bien au contraire : elle en parlait avec une curiosité assumée. En fait, c’était une question qui l’occupait profondément. Mme Maillet n’avait aucune hésitation à aborder le sujet de la mort.
Antonine Maillet a beaucoup travaillé, beaucoup écrit et, pour notre plus grand plaisir, beaucoup publié. Nous retiendrons énormément de choses de Mme Maillet, notamment ses qualités de cœur. Personnellement, ce qui m’émeut particulièrement quand je pense à elle, c’est toute l’ampleur de sa vaillance. Et c’est de cette vaillance que doit se nourrir la jeunesse acadienne, ses artistes et ses écrivains.
Pour avoir une juste appréciation de sa qualité, je vous invite à lire Clin d’œil au temps qui passe, une œuvre autobiographique publiée en 2019 qui s’attarde à certains moments clés de sa vie. Il ne s’agit pas d’un ouvrage imposant en termes de pages, mais sa lecture n’en demeure pas moins vertigineuse. C’est un exercice exigeant, car on partage, le temps de quelques chapitres, le tourbillon de sa vie. Je n’ai jamais douté qu’Antonine Maillet était une personne travaillante, mais c’est en lisant Clin d’œil au temps qui passe que j’ai pleinement pris conscience de toute l’ampleur de sa vaillance. Cette découverte est précieuse, car elle nous permet de mieux la comprendre, de mieux la saisir en tant qu’artiste et en tant que personne. J’ai lu son Clin d’œil à plusieurs reprises, et aujourd’hui, je me replonge une nouvelle fois dans cette lecture pour célébrer la vie d’une autrice extraordinaire.
Grâce au niveau d’excellence qu’elle a su atteindre par son travail d’écrivaine, on ne peut nier que l’Acadie existe bel et bien aujourd’hui. L’Acadie a une culture vivante. Antonine Maillet compte parmi ceux et celles qui se sont battus pour permettre à la culture acadienne non seulement d’exister, mais aussi de perdurer à travers le temps. On ne peut que souhaiter que cet héritage continue de nous offrir davantage de talents de tous les horizons, provenant de tous les coins de l'Acadie.
Pour le plus grand bonheur de ses lecteurs (et du mien), Mme Maillet laisse une œuvre de fiction importante, agrémentée de récits et autres textes autobiographiques plus introspectifs, tels que Clin d’œil au temps qui passe, mais pas seulement. Il est extrêmement intéressant de lire des titres comme Madame Perfecta (2002), Fais confiance à la mer, elle te portera (2010), Lettres de mon phare (2016) et Mon testament (2022). Ces ouvrages nous permettent de mieux appréhender et comprendre son œuvre de fiction, qui touche avec brio tant l'univers du roman que celui du théâtre.
Lorsque j'ai rencontré Antonine Maillet au Salon du livre de Montréal en 2019, je lui ai dit que mon œuvre favorite était Les Cordes-de-Bois. À cela, elle m’a répondu qu’elle aussi aimait beaucoup Les Cordes-de-Bois, mais que son œuvre favorite restait Pierre Bleue. Zachary Richard, qui accordait aujourd'hui une entrevue à Radio-Canada, a déclaré que son œuvre favorite d'Antonine Maillet était Mariaagélas. Avec des œuvres telles que Les Cordes-de-Bois et son acolyte théâtral La Veuve Enragée, le Mariaagélas adoré par Zachary Richard (et par plusieurs autres), sans oublier La Sagouine, on entre, à mon avis, dans le cœur de l’œuvre d'Antonine Maillet, dans ses racines existentielles. Et je dirais même qu’on plonge directement dans ses racines "folks". Certains diront « œuvres folkloriques », mais il me semble qu'il y a toujours un sous-entendu péjoratif lorsqu’il est question de « folklore ». Je parle vraiment du terme folk dans son sens anglais. On parle aisément de musique folk, mais roman folk, je n'ai jamais entendu cela. Or, c’est bien ce qu’Antonine Maillet a créé des années 50 à aujourd’hui : un univers folk plus vrai que nature. À bas la notion de folklore démodée !
Antonine Maillet était reine chez Leméac. Une reine est morte, mais son univers folk et coloré est universel et immortel.
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