10 février 2020

Antonine Maillet nommée citoyenne d’honneur de la Ville de Montréal!

L’année 2020 a commencé en grand pour l’écrivaine Antonine Maillet! Le 8 janvier dernier, l’écrivaine s’est vu décerner la citoyenneté d’honneur de la Ville de Montréal. Voilà donc une distinction de plus qui vient s’ajouter à celle qui est lauréate du prix Goncourt 1979, officière de l’ordre des Palmes académiques 1980, commandeure de l’ordre du Mérite 1997, officière de la Légion d’Honneur 2003… Ce n’est pas la première fois que la Ville de Montréal remet un titre honorifique à Antonine Maillet. En 1981, trois ans après avoir remporté le prix Goncourt, la rue Wilder, où elle a habité pendant de nombreuses années dans le quartier Outremont, a été rebaptisée l’avenue Antonine Maillet. Une décennie plus tard, en 1991, l’écrivaine acadienne fut nommée Grande Montréalaise. Depuis son arrivée dans les années 70 jusqu’à aujourd’hui, la Ville de Montréal a su reconnaître le talent de l’écrivaine et l’honore, depuis quatre décennies, toujours en grande pompe.

L’obtention d’une nouvelle distinction n’en est jamais une de trop et est toujours à célébrer en grand, surtout lorsqu’il s’agit d’Antonine Maillet. Évidemment, l’Acadie est très importante dans l’œuvre d’Antonine Maillet, mais on doit à Montréal une fière chandelle, car c’est ici, dans ce Montréal que j’habite moi aussi, que s’est forgée son identité de créatrice. Pour bien le comprendre, on se doit de lire Clin d’œil au Temps qui passe, publié chez Leméac en 2019. On retrouve également ailleurs des traces de son affection pour Montréal, entre autres dans cet article tiré du Devoir, dans lequel Antonine Maillet déclare : « Je ne pourrais plus vivre en Acadie aujourd’hui. Je ne dis pas que j’en mourrais, mais je n’y serais pas aussi heureuse qu’à Montréal. C’est ici que j’ai fait ma vie. Et puis, si j’habitais là-bas, je ne serais plus aussi nostalgique de mon pays natal. Comment ferais-je alors pour écrire? » (Rue Antonine-Maillet, à Outremont — « Montréal, c’est ma ville! », Le Devoir, collaboration spéciale d’Émilie Corriveau, le 16 novembre 2011).

Le 8 janvier 2020, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, remit à Antonine Maillet sa citoyenneté d’honneur en soulignant qu’elle est « une grande femme de lettres, une icône de la littérature. » Le hasard faisant toujours bien les choses pour Antonine Maillet, peut-être que le fait que Valérie Plante se soit retrouvée assise à ses côtés lors de la soirée d’ouverture de la dernière édition du Salon du livre de Montréal a quelque chose à voir avec cet hommage. Afin de souligner l’événement à ma manière, je viens de relire quelques pages de son Clin d’œil au Temps qui passe, son œuvre autobiographique qui ne se veut pas réellement en être une car Antonine Maillet n’a jamais voulu écrire son autobiographie, au sens propre du terme. Clin d’œil au Temps qui passe se lit comme un récit, l’écrivaine nous révèle, courageusement, à nous, ses lecteurs, quelques secrets. En ce sens Nathalie Petrowski et Antonine Maillet se rejoignent. Malgré leur célébrité, toutes deux n’ont pas hésité à confier publiquement certaines blessures ayant marqué le parcours de leur existence. Mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est leur extraordinaire résilience et la volonté d’exceller dans leurs activités professionnelles. En ce sens, Nathalie Petrowski et Antonine Maillet ne sont pas si différentes l’une de l’autre. Je vous recommande fortement tant la lecture de ce Clin d’œil au Temps qui passe d’Antonine Maillet que des mémoires de Nathalie Petrowski, La critique n’a jamais tué personne, ne serait-ce que pour se familiariser avec leurs parcours réciproques. Vous ne pourrez que l’apprécier l’une et l’autre que davantage. On en apprend des choses, en lisant Clin d’œil au Temps qui passe. On parvient ainsi à réaliser par soi-même le rôle de première importance qu’a joué l’ethnographe Luc Lacourcière, qui fut le directeur de thèse à l’Université Laval de Maillet, dans son cheminement :

« À la suggestion du professeur Luc Lacourcière, j’avais renoncé au thème de la gigantomachie chez Rabelais pour celui plus spécifique de Rabelais et l’oralité en Acadie. Après plus d’un demi-siècle, j’entends encore la voix à la fois chaleureuse et nasillarde du plus grand spécialiste en littérature orale acadienne : « Rabelais est inépuisable. Pourquoi vous hasarder sur un terrain que d’autres peuvent emprunter autant que vous, alors qu’il existe une voix qui n’appartient qu’à vous seule. Je vous recommande d’aller dans cette direction. » » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 73).

Cette direction, celle qui a forgé son originalité, Antonine Maillet la suivit toute sa vie. Sa thèse de doctorat, Rabelais et les traditions populaires en Acadie fut un point culminant, lui permettant de dépoussiérer le lien nous unissant à la France et, par le fait même, d’exploiter toute la richesse de ce vocabulaire appartenant à un temps ancien, mais toujours présent dans le pays d’Acadie de ses aïeux. Des années plus tard, suite à une brillante carrière d’universitaire, forte de son succès populaire inattendu avec La Sagouine, Antonine Maillet décida, dans les années 70, de s’établir dans ce Montréal qui semblait alors l’accueillir à bras ouverts. Et ce, malgré quelques incompréhensions exprimées par son public québécois… 

« « Les Acadiens, vous êtes encore vivants? » Je devais répondre à cette question. Mais, pour y parvenir, il ne suffisait pas d’avoir été témoin de sa petite histoire. Pour situer ce morceau de vie dans les paramètres de notre espace-temps, il me fallait du recul. Ce flot de visions, de cris, de murmures, de chuchotements, ragornés durant quarante ans, il m’était impossible de le déverser du haut de l’arbre penché sur ma maison natale. J’avais besoin de liberté et de distance. » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 94).

C’est donc de Montréal qu’Antonine Maillet écrivit l’essentiel de ses romans et pièces de théâtre :

« Du carreau de fenêtre d’un grenier, au pied du mont Royal, j’avais vue sur toutes les veuves à Calixte : celles de Montréal, du Québec, des Amériques, du globe tout entier où pullulent tant de ces acariâtres, que j’ai la possibilité d’y retrouver enfin la seule vraie, la pie-grièche qui chatouille les doigts de l’écrivain et, avec ou sans son consentement, finit par se glisser entre les pages de ses écritures. Voilà comment et pourquoi j’ai déposé mes pénates à Montréal. Les événements rapportés plus haut, qui m’avaient fermé la porte de l’enseignement chez moi, ont étrangement contribué à me garrocher par-dessus bord… tribord, bâbord, bon bord… si fait, après toutes ces années, aujourd’hui je sais que ce jour d’octobre 1972, j’ai atterri du côté de mon avenir. Pourtant j’aimais mon coin de pays, j’aimais raconter, mais ne pouvais raconter librement mon peuple que vu de loin. J’ai songé à Gabrielle Roy, Anne Hébert, Marie-Claire Blais, ces exilées… Et je m’établis à Montréal. » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 94-95).

Sa résistance, Antonine Maillet l’a doit à cette mission dont elle s’est sentie investit très tôt dans la vie : celle de défendre les couleurs de l’Acadie, de l’aider à s’établir culturellement, et aussi celle de l’écrire. À ce sujet, l’œuvre phare de Maillet est sans contredit La Sagouine. Au Nouveau-Brunswick, et sans doute partout ailleurs au pays, on connaît beaucoup plus Antonine Maillet comme étant l’autrice de La Sagouine que comme récipiendaire du prix Goncourt pour Pélagie-la-Charrette. La Sagouine est un réel succès populaire, un phénomène de société, qui a su charmer un très large public intergénérationnel. C’est somme toute assez extraordinaire de constater que la Sagouine vole littéralement la vedette au prix Goncourt et à sa Pélagie, mais je ne crois pas que cela déplaise à Antonine Maillet.

En ce qui me concerne, si vous me demandez quelle est mon œuvre préférée d’Antonine Maillet et celle dont je me suis complètement appropriée, je vous répondrai : Les Cordes-de-Bois. J’ai lu Les Cordes-de-Bois pour la toute première fois lorsque j’en avais le plus de besoin, alors que j’étais étudiante à l’Université de Poitiers en licence de lettres modernes. J’étais déjà bombardée en lectures obligatoires de toutes sortes, je ne savais plus trop où me donner de la tête, mais quoi qu’il en soit, j’ai tout de même lu ce roman d’Antonine Maillet, tout à fait par hasard, alors que j’étais à la recherche d’un sujet de dissertation. D’abord, ce charmant titre m’a captivé. Ce dernier a vite fait de me ramener à ma réalité néo-brunswickoise. Voyez-vous, chez nous, en hiver, la maison familiale est chauffée non pas à l’électricité, qui de beaucoup trop cher au Nouveau-Brunswick, ni au gaz, mais on chauffe, encore aujourd’hui, avec des codes de bois qui sont minutieusement cordées avec soin chaque automne dans la cave, prêtes à affronter l’hiver. En fait, les codes de bois d’Antonine Maillet représentaient pour moi tout simplement du bois de chauffage et je trouvais ce titre fort original. Ce roman m’a vite conquise. J’allais en faire, plus tard, avec La Veuve enragée, mon sujet de mémoire de maîtrise de lettres modernes. La lecture des Cordes-de-Bois a été pour moi une véritable révélation. J’ai eu la chance de faire dédicacer mon exemplaire tout défraîchi et abîmé à couverture rouge des Cordes-de-Bois par Antonine Maillet lors du Salon du livre de Montréal de 2019. J’étais tout à fait exaltée. Au tournant des années 2000, j’étais peut-être en France, mais j’allais, de la France, étudier l’œuvre d’Antonine Maillet.

Je vous conseille fortement la lecture des Codes-de-Bois. Ce qui est plaisant dans ce roman, c’est l’explosion de fraîcheur, la vitalité des personnages, dont la Bessoune et la Piroune (cette dernière ayant été interprétée par une certaine Denise Filiatrault au théâtre), une couleur aux accents folks et, assurément, les voix acadiennes qui s’y entremêlent pour donner vie à ce fabuleux tableau, une épopée de vies acadiennes. La différence, pour ne pas dire décalage entre toutes mes lectures dites « obligatoires »de licence de lettres et ce roman d’Antonine Maillet était pour moi quelque chose d’extraordinaire. Aux côtés de ma favorite, les auteurs français, exclusivement masculins, que je devais absolument m’appliquer à lire et parfois à lire et relire encore tant et si bien que certains d’entre eux me laissaient complètement indifférente malgré tous mes efforts, et bien, ces auteurs étaient ternes, en comparaison. En fait, mes autres lectures n’éveillaient pas en moi le même sentiment d’enthousiasme que celle que j’avais ressentie en lisant Les-Cordes-de-Bois. Il n’a pas dû être très difficile pour Antonine Maillet de transposer, au théâtre, l’univers des cordes-de-bois par l’entremise de La Veuve enragée tellement son roman est vivant. Mes coups de cœur littéraires sont très rares, mais Les-Cordes-de-Bois, c’est tout à fait ça, un véritable coup de cœur.

Bientôt, un nouvel ouvrage d’Antonine Maillet viendra s’ajouter à sa bibliographie : Fabliau des temps nouveaux, qui devrait être disponible sous peu en librairie. Dans le cadre de l’édition 2019 du Salon du livre de Montréal, Antonine Maillet avait lu un extrait de cette œuvre inédite. Vous retrouverez quelques extraits sur ma chaîne YouTube.



Lors de sa présentation, Antonine Maillet dit avoir lu le même extrait à une amie aveugle. Quelques mois ont passé depuis le Salon du livre de Montréal, et ce n’est que depuis peu que j’ai fini par réaliser que cette amie aveugle en question pourrait être nulle autre que Viola Léger, l’interprète de la Sagouine. Cette grande comédienne dut se retirer de la scène publique en 2017, après avoir souffert d’un accident vasculaire cérébral. J’adore la sonorité du mot « fabliau ». 

Selon le dictionnaire le Trésor de la langue française, un fabliau est un « conte populaire en vers, satirique ou moral. ». À ce sujet, il aurait été question que ce terme « fabliau », absolument superbe et tellement original, apparaisse comme sous-titre, mais l’éditeur Pierre Filion de Leméac suggéra à Antonine Maillet de plutôt l’ajouter dans le titre. Choix très judicieux qui ouvre toute grande la porte à un autre merveilleux monde de la créatrice qu’il me tarde à découvrir. Plus tard, au courant du mois de mars, également aux éditions Leméac, ce sera au tour de Marc Séguin, dont j’avais bien aimé Nord Alice, de faire paraître son nouveau roman, Jenny Sauro. À noter que ce 12 mars, Antonine Maillet se joindra à Béatrice Picard pour une soirée hommage organisée par la Société littéraire de Laval. C’est un événement à ne pas manquer! Les billets sont déjà en vente, alors faites vite!

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