9 août 2020

Laurence Salacrou, la femme qui écrit la vieillesse

Beaucoup de choses se sont passées depuis la publication de mon dernier billet, en mars de cette année. Le coronavirus a rapidement pris toute la place, tant sur le plan personnel que professionnel, et je dois dire que pendant cette période trouble, je n’ai pas beaucoup lu. Or, j’avais en ce sens toutes les possibilités du monde. Travaillant de la maison, ma bibliothèque était plus que jamais accessible. Bien des lectures m’y attendent encore, dont la biographie de Romain Gary écrite par Dominique Bona.

Impossible pour moi de lire à mon rythme habituel. Ma concentration était diluée. Le coronavirus m’a vidé, pendant un certain temps, de tout intérêt littéraire, et de toutes mes énergies. Il m’est arrivé plus d’une fois de me coucher pour la nuit directement après avoir terminé ma journée de travail. Pendant de longues semaines, j’ai suivi de très près l’actualité, dévorant les bulletins de nouvelles tant sur les chaînes CNN, LCN, Radio-Canada, RDI, que TV5, Euro News et BBC. Je tentais de rendre un sens à ce mal invisible, afin de le comprendre. Ce à quoi venaient s’ajouter bien sûr les points de presse quotidiens du gouvernement de François Legault et, tout aussi régulièrement, ceux de Justin Trudeau. Cela m’aura pris du temps, mais j’ai fini par réaliser que j’allais devoir m’y faire.

Le coronavirus est ici pour de bon. Je me suis peu à peu adaptée à ma nouvelle vie, celle du confinement, et dans laquelle mon petit appartement du Plateau est trop rapidement devenu mon unique univers. Je n’y étais pas prête. Heureusement, depuis plusieurs semaines déjà, restaurants, cafés, ainsi que ma salle de gym ont à nouveau ouverts leurs portes. Alors qu’un semblant de normalité s’installait, le port du masque est devenu obligatoire en lieu public, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. Le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick a quant à lui mis en place des mesures très strictes qui m’empêchent, encore pour le moment, de rendre visite à ma famille. J’espère un assouplissement des règles pour cet automne, malgré la possibilité d’une deuxième vague. Manquer Pâques, la saison estivale, passe encore, mais manquer la chasse à la perdrix, ça non. Jamais. En attendant, l’été se poursuit et pour mon plus grand bonheur, je suis redevenue la lectrice que j’étais, celle d’avant la période de confinement. Je lis régulièrement, et plusieurs ouvrages à la fois, comme je l’ai toujours fait.

Parmi mes lectures achevées, nous retrouvons un coup de cœur, L’ombre d’un roi de Laurence Salacrou. J’ai commandé ce livre par erreur sur le site de la Grande Bibliothèque de Montréal. J’avais réservé ce roman en croyant que j’empruntais un ouvrage écrit par Armand Salacrou. J’ai dû attendre deux semaines avant de réaliser mon erreur, à la réception de l’ouvrage. Après l’avoir attendu avec impatience, je n’allais tout de même pas me priver de la lecture de L’ombre d’un roi, même s’il s’agissait-là d’un roman écrit par la fille, et non par le père. Jusqu’à ce jour, Armand Salacrou demeure pour moi un inconnu. Je n’ai encore rien lu de cet homme de théâtre. Tout ce que je sais d’Armand Salacrou, c’est qu’il siégea à l’Académie Goncourt en l’année fabuleuse de 1979, lorsqu’Antonine Maillet reçut sa distinction.

Il y a déjà quelques mois, je m’étais donnée comme objectif de lire au moins un ouvrage écrit par chacun des membres de l’Académie du prix Goncourt ayant siégé en l’année 1979. De ce groupe, j’ai entre autres lu Les allumettes suédoises de Robert Sabatier, Un petit bourgeois et de François Nourissier, Le démon de minuit de Hervé Bazin, Vendredi ou La Vie sauvage de Michel Tournier et Le Rempart des Béguines de Françoise Mallet-Joris. Il semble qu’à travers les différentes époques, le jury du prix Goncourt a toujours compté une figure féministe amenant du même coup une petite brise de scandale. En ses premières années d’existence, il y a d’abord eu Colette. Quelques décennies plus tard, en 1979, la fougueuse du groupe s’appelait Françoise Mallet-Joris, une écrivaine et parolière issue de l’aristocratie belge.

Parmi ces membres, un seul m’intimidait à m’en donner quelque peu la chair de poule. Cet auteur qui me donnait la frousse, c’était Hervé Bazin. Sans raison précise, je craignais Hervé Bazin. Peut-être était-ce en raison de sa carrure ou encore de par sa position sociale prestigieuse. Hervé Bazin fut président de l’Académie Goncourt de 1973 à 1996. J’ai tôt fait de réaliser mon tort, ma lecture d’un premier roman de Bazin, Le démon de minuit, allait vite fait effacer toutes idées préconçues. J’ai également lu de lui son roman Qui j’ose aimer. Je n’ai lu que ces deux ouvrages, mais déjà, j’ai le sentiment qu’Hervé Bazin aime bien exploiter le thème de la famille dans ses œuvres. Vraiment, les sagas familiales semblent être ce à quoi il aime confronter ses lecteurs, et j’adore. J’ai passé une partie de mon adolescence à lire rêveusement les romans de Virginia C. Andrews. Les sagas familiales, c’est quelque chose qui fait partie de ce que j’aime en littérature. En ce qui concerne Hervé Bazin, vous n’avez rien à craindre.

En fait, mon « monstre » au sein du jury du prix Goncourt 1979, ce n’était pas Hervé Bazin, tel que je l’escomptais, mais plutôt François Nourissier. François Nourissier? Je ne le connaissais pas. Ce que j’ai lu de lui a tôt fait de me dégoûter de son personnage et de sa personne. J’ai d’abord lu Un petit bourgeois, et j’ai ensuite enchaîné avec Eau-de-feu. Lire du François Nourissier, ce n’est pas plonger dans le bonheur somptueux qui est de celui de lire, par exemple, un roman de Françoise Sagan. Je n’aime définitivement pas l’homme, je n’aime pas l’auteur, mais François Nourissier, c’est un écrivain très fort, un très grand écrivain, qui jamais ne cherche à épargner ses lecteurs. La vérité est toujours affichée, sans complaisance. Disons que lire François Nourissier va assurément vous embêter pour au final, vous donner un bon coup de poing dans l’estomac. Et ça fait mal. Dans ces deux ouvrages, Un petit bourgeois et Eau-de-feu, François Nourissier ne cache rien de l’homme exécrable qu’il a été. Il expose tout, sans pudeur, sans complexe. Pour moi, François Nourissier représente le portait type du parfait écrivain salopard, qui ne se refuse absolument rien, et absolument pas celui d’écrire.

Je suis peut-être une lectrice sévère, mais je crois sincèrement que n’importe quel lecteur contemporain d’Un petit bourgeois devrait, à mon avis, partager mon dégoût de Nourissier. Les plus curieux liront Un petit bourgeois. Lisez d’abord sans préjugés, car ceux-ci viendront plus tard à vous. De par cette lecture, nous plongeons dans le cœur même de François Nourissier, de tout ce qui fit l’écrivain qu’il a été, de ses forces, mais surtout de ses faiblesses. Cette lecture dérange, car l’homme ne se cache jamais derrière l’écrivain et par moment, cela donne envie de crier. À la suite de quoi, faisant suite à cette puanteur littéraire, l’arrivée de Michel Tournier dans ma vie avec sa littérature jeunesse a été un réel vent de fraîcheur. Je n’étais pas très enthousiaste quant à l’idée de lire les aventures de Robinson Crusoé. J’ai vraiment dû m’appliquer pour en lire les premières pages, mais une fois la lecture bien entamée, Vendredi ou La Vie sauvage de Michel Tournier m’a beaucoup plus. Vendredi étant le nom donné à un aborigène que Robinson sauva d’une mort certaine, en un certain vendredi. Vendredi ou La Vie sauvage est un petit roman tout à fait charmant qui s’inscrit dans le cadre de la littérature jeunesse.

Quant à L’ombre d’un roi de Laurence Salacrou, il s’agit d’un roman réaliste qui raconte l’histoire d’une famille bourgeoise qui expérimente la vieillesse de ses deux patriarches. Ces derniers ont vécu largement, du quartier Saint-Germain-des-Prés à Paris jusqu’en province, dans demeure somptueuse dominant la mer où le couple s’est retiré. Il est facile d’imaginer qu’il s’agisse là de la somptueuse villa ayant appartenu à Armand Salacrou, faisant face à la mer, au Havre.

Antoine Ballaresque, décrit comme étant un « vieux monsieur » dès les toutes premières pages du roman, fut un musicien qui autrefois connut à Paris des heures de gloire. De tempérament exécrable, il a trompé son épouse avec de nombreuses maîtresses toute sa vie durant, au vu et su de cette dernière. Celle qui dut supporter ce calvaire n’est pas nommée dans le roman. On ne connaît pas le nom de cette femme qui a souffert des infidélités de son mari, mais on en connaît le visage. L’une des activités préférées de la vieille dame est de regarder des photographies. Elle se plaît à contempler celle qu’elle fut autrefois. Le couple a deux enfants, deux filles, dont Jeanne, la préférée qui semble porter à elle seule le fardeau accompagnant cette vieillesse, et Suzou : « Et les deux vieux, tout doux, tout doux, continuèrent à rapetisser. Ils s’amenuisèrent en marionnettes de plus en plus enfantines pour un théâtre de plus en plus simple, un Guignol pour tout-petits. Leurs coups de bâton, pourtant, faisaient encore sauter le cœur de Jeanne, surtout quand la Reine s’emparait du gourdin. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p. 177).

Dans ce roman de Laurence Salacrou, au fil des pages, on attend la mort de pied ferme. Il s’agit, ultimement, du sort qui attend le vieux monsieur, le Roi, et la vieille dame, la Reine. Il ne peut en être autrement. On s’y attendait quelque peu, c’est Antoine qui meurt en premier, sans crier gare :

« Jean conduisit Jeanne en voiture à la villa rose.

Bénédicte leur ouvrit la porte :

- Faut pas pleurer. Cela s’est passé tout simplement. Je retapais le lit de monsieur comme tous les matins. Je lui changeais ses draps. Il était assis dans son fauteuil, là, à côté de son lit. Tout à coup il a raidi les jambes, oui, dans un sursaut. Sa loupe est tombée. Monsieur était parti. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p. 196).

La mort est arrivée, platement, sans cérémonie.

« Mais la tempête et les orages, qui devaient éclater le jour de la mort du Roi? Rien…? Juste des jambes qui s’étirent, une loupe qui tombe et le murmure des femmes?

L’oiseau qui chute de sa branche un jour de grand gel ne fait pas plus de bruit. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p. 197).

N’en doutez point, Antoine Ballaresque, alias le Roi, c’est Armand Salacrou.

Je ne regrette pas cette lecture improviste de L’ombre d’un roi, ce fut une belle surprise. Toujours chez Calmann-Lévy, Laurence Salacrou a également écrit Le mari qui aboie, que j’espère lire sous peu. Par ailleurs, mon objectif n’est pas celui de prendre un chemin précis et droit, mais de m’étendre, de prendre mes aises. Lire ce qui me plaît, c’est comme étant le luxe ultime. Et ayant le privilège de vivre à Montréal, même au temps du coronavirus, la Grande bibliothèque de Montréal a beaucoup à offrir.

La plume de Laurence Salacrou est très particulière. On y sent l’expérience de l’écriture, de par sa propre expérience, et celle de son père. Derrière l’ombre imposante de ce roi, on devine aisément la figure paternelle. Je l’apprécie, Laurence Salacrou, dans sa sobriété.

1 mars 2020

Ça y est : Antonine Maillet publie Fabliau des Temps Nouveaux chez Leméac


Je l’attendais avec impatience, et le voici maintenant disponible en librairie. Le dernier ouvrage d’Antonine Maillet, Fabliau des Temps Nouveaux a été publié chez son éditeur Leméac. J’ai acheté mon exemplaire chez Renaud-Bray, où Fabliau des Temps Nouveaux nous est présenté emballé d’une fine particule de plastique qu’on peine à enlever sans abîmer le petit livre. Le fabliau de Maillet est fort court, il fait à peine 70 pages. J’aurai aimé avoir affaire à quelque chose de plus dense, à l’image de Les-Cordes-de-Bois, par exemple. Il va sans dire que j’ai été surprise par le petit volume, l’écrivaine nous ayant habitués à des romans un peu plus costauds. Et c’est bien là le problème, Fabliau des Temps Nouveaux n’est pas un roman, mais un conte qui emprunte au style de la fable. Il aurait été sans doute difficile d’étirer la sauce outre mesure pour offrir à ses lecteurs quelques pages supplémentaires. Personnellement, ce qui me plaît, c’est le roman et par conséquent, je cherchais, en lisant Fabliau des Temps Nouveaux, un nouveau roman d’Antonine Maillet. Or, je ne suis pas déçue pour autant.

On retrouve dans Fabliau des Temps Nouveaux le style accomplit d’Antonine Maillet. Un vieil adage dit que c’est dans les petits pots qu’on retrouve les meilleurs onguents, et c’est sans doute vrai. L’œuvre est courte, certes, mais ce fabliau d’Antonine Maillet est savoureux et offre de belles couleurs qui sont absolument à découvrir. On y reconnaît Antonine Maillet. J’ai eu l’impression de lire quelque chose de très frais, de vivifiant dont il est de votre devoir de vous approprier en lisant le Fabliau des Temps Nouveaux. Dans cette histoire, le petit nouveau du village, sans doute situé quelque part en Acadie, et pourquoi pas à Bouctouche, un Pain Chaud pétri par les doigts de sa mère, se joint aux enfants des voisins : un oiseau, un poisson, une fleur, un chat. Les cinq acolytes deviendront rapidement les meilleurs amis du monde.

Tranquillement, les jeux de la vieille n’amusent plus Pain Chaud qui cherche à vivre des aventures plus exaltantes. Ayant semé la pagaille au village, Pain Chaud ressent vite des remords et ses trente-six larmes viennent rapidement le métamorphoser en petit monstre dont le menton tombe au niveau du nombril… À titre de bonne boulangère et de bonne maman, Mme Painchaud vint au secours de son fils. Il n’en demeure pas moins que le besoin d’aventure se fait sentir, alors que les uns et les autres font entendre leurs voix afin que la paix et la tranquillité reviennent au pays des côtes. On propose un tour de la planète dont le Temps se chargera de présenter à ses compagnons, puis suivra de nouveaux guides : le Passé, le Futur et l’Avenir. Les amis se donneront des défis à surmonter qui, tout à tour, leur permettront de découvrir le monde et ses problèmes : la pollution, les inégalités sociales, les exodes migratoires, les guerres. Devant l’ampleur de toutes ces catastrophes modernes, Pain Chaud s’accroche courageusement :

« À cette image du Temps qui surgit sous son front, Pain Chaud accroche ses jambes à son cou et se hâte de rentrer auprès des siens.
Et c’est alors, au moment de retrouver son monde, juste comme il les aperçoit tous les quatre aux pieds du maître et de ses deux acolytes, le vénérable Passé et l’Avenir fougueux, que le cerveau en ébullition du petit Pain gonfle à en faire craquer sa croûte. Il se jette aux pieds du Temps :
– Ô maître, dessinez-nous des Temps Nouveaux de toutes les couleurs!
Le Temps sourit à son disciple insatiable, fait un large tour des têtes, puis attrapant au vol un oiseau de nuit, il lui emprunte sa plus longue plume et la plonge dans l’arc-en-ciel du soir.
Espoir. » (Antonine Maillet, Fabliau des Temps Nouveaux, Leméac, p. 67-68).

Ces Temps Nouveaux, c’est l’Avenir, version Antonine Maillet, mais en mieux.

Moi qui avais envie d’un nouveau roman d’Antonine Maillet, je viens d’emprunter à la Grande Bibliothèque Les-Codes-de-Bois, que je n’ai pas relu depuis… environ 15 ans. J’ai bien sûr mon propre exemplaire des Cordes-de-Bois, mais à l’époque, je l’ai lu et relu bien des fois, ce qui fait en sorte qu’aujourd’hui, mon livre est quelque peu fatigué, les premières pages n’y sont plus très solides. En commençant ce blogue, j’avais pour projet de relire mes lectures universitaires, mais j’ai vite constaté que la relecture me replongeait directement dans mes souvenirs de lecture pour ainsi me rendre compte que, mine de rien, je n’avais rien oublié. Alors j’ai bien hâte de voir comment je vais réagir à la relecture des Cordes-de-Bois et si ce roman d’Antonine Maillet va toujours m’inspirer la même exaltation.

10 février 2020

Antonine Maillet nommée citoyenne d’honneur de la Ville de Montréal!

L’année 2020 a commencé en grand pour l’écrivaine Antonine Maillet! Le 8 janvier dernier, l’écrivaine s’est vu décerner la citoyenneté d’honneur de la Ville de Montréal. Voilà donc une distinction de plus qui vient s’ajouter à celle qui est lauréate du prix Goncourt 1979, officière de l’ordre des Palmes académiques 1980, commandeure de l’ordre du Mérite 1997, officière de la Légion d’Honneur 2003… Ce n’est pas la première fois que la Ville de Montréal remet un titre honorifique à Antonine Maillet. En 1981, trois ans après avoir remporté le prix Goncourt, la rue Wilder, où elle a habité pendant de nombreuses années dans le quartier Outremont, a été rebaptisée l’avenue Antonine Maillet. Une décennie plus tard, en 1991, l’écrivaine acadienne fut nommée Grande Montréalaise. Depuis son arrivée dans les années 70 jusqu’à aujourd’hui, la Ville de Montréal a su reconnaître le talent de l’écrivaine et l’honore, depuis quatre décennies, toujours en grande pompe.

L’obtention d’une nouvelle distinction n’en est jamais une de trop et est toujours à célébrer en grand, surtout lorsqu’il s’agit d’Antonine Maillet. Évidemment, l’Acadie est très importante dans l’œuvre d’Antonine Maillet, mais on doit à Montréal une fière chandelle, car c’est ici, dans ce Montréal que j’habite moi aussi, que s’est forgée son identité de créatrice. Pour bien le comprendre, on se doit de lire Clin d’œil au Temps qui passe, publié chez Leméac en 2019. On retrouve également ailleurs des traces de son affection pour Montréal, entre autres dans cet article tiré du Devoir, dans lequel Antonine Maillet déclare : « Je ne pourrais plus vivre en Acadie aujourd’hui. Je ne dis pas que j’en mourrais, mais je n’y serais pas aussi heureuse qu’à Montréal. C’est ici que j’ai fait ma vie. Et puis, si j’habitais là-bas, je ne serais plus aussi nostalgique de mon pays natal. Comment ferais-je alors pour écrire? » (Rue Antonine-Maillet, à Outremont — « Montréal, c’est ma ville! », Le Devoir, collaboration spéciale d’Émilie Corriveau, le 16 novembre 2011).

Le 8 janvier 2020, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, remit à Antonine Maillet sa citoyenneté d’honneur en soulignant qu’elle est « une grande femme de lettres, une icône de la littérature. » Le hasard faisant toujours bien les choses pour Antonine Maillet, peut-être que le fait que Valérie Plante se soit retrouvée assise à ses côtés lors de la soirée d’ouverture de la dernière édition du Salon du livre de Montréal a quelque chose à voir avec cet hommage. Afin de souligner l’événement à ma manière, je viens de relire quelques pages de son Clin d’œil au Temps qui passe, son œuvre autobiographique qui ne se veut pas réellement en être une car Antonine Maillet n’a jamais voulu écrire son autobiographie, au sens propre du terme. Clin d’œil au Temps qui passe se lit comme un récit, l’écrivaine nous révèle, courageusement, à nous, ses lecteurs, quelques secrets. En ce sens Nathalie Petrowski et Antonine Maillet se rejoignent. Malgré leur célébrité, toutes deux n’ont pas hésité à confier publiquement certaines blessures ayant marqué le parcours de leur existence. Mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est leur extraordinaire résilience et la volonté d’exceller dans leurs activités professionnelles. En ce sens, Nathalie Petrowski et Antonine Maillet ne sont pas si différentes l’une de l’autre. Je vous recommande fortement tant la lecture de ce Clin d’œil au Temps qui passe d’Antonine Maillet que des mémoires de Nathalie Petrowski, La critique n’a jamais tué personne, ne serait-ce que pour se familiariser avec leurs parcours réciproques. Vous ne pourrez que l’apprécier l’une et l’autre que davantage. On en apprend des choses, en lisant Clin d’œil au Temps qui passe. On parvient ainsi à réaliser par soi-même le rôle de première importance qu’a joué l’ethnographe Luc Lacourcière, qui fut le directeur de thèse à l’Université Laval de Maillet, dans son cheminement :

« À la suggestion du professeur Luc Lacourcière, j’avais renoncé au thème de la gigantomachie chez Rabelais pour celui plus spécifique de Rabelais et l’oralité en Acadie. Après plus d’un demi-siècle, j’entends encore la voix à la fois chaleureuse et nasillarde du plus grand spécialiste en littérature orale acadienne : « Rabelais est inépuisable. Pourquoi vous hasarder sur un terrain que d’autres peuvent emprunter autant que vous, alors qu’il existe une voix qui n’appartient qu’à vous seule. Je vous recommande d’aller dans cette direction. » » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 73).

Cette direction, celle qui a forgé son originalité, Antonine Maillet la suivit toute sa vie. Sa thèse de doctorat, Rabelais et les traditions populaires en Acadie fut un point culminant, lui permettant de dépoussiérer le lien nous unissant à la France et, par le fait même, d’exploiter toute la richesse de ce vocabulaire appartenant à un temps ancien, mais toujours présent dans le pays d’Acadie de ses aïeux. Des années plus tard, suite à une brillante carrière d’universitaire, forte de son succès populaire inattendu avec La Sagouine, Antonine Maillet décida, dans les années 70, de s’établir dans ce Montréal qui semblait alors l’accueillir à bras ouverts. Et ce, malgré quelques incompréhensions exprimées par son public québécois… 

« « Les Acadiens, vous êtes encore vivants? » Je devais répondre à cette question. Mais, pour y parvenir, il ne suffisait pas d’avoir été témoin de sa petite histoire. Pour situer ce morceau de vie dans les paramètres de notre espace-temps, il me fallait du recul. Ce flot de visions, de cris, de murmures, de chuchotements, ragornés durant quarante ans, il m’était impossible de le déverser du haut de l’arbre penché sur ma maison natale. J’avais besoin de liberté et de distance. » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 94).

C’est donc de Montréal qu’Antonine Maillet écrivit l’essentiel de ses romans et pièces de théâtre :

« Du carreau de fenêtre d’un grenier, au pied du mont Royal, j’avais vue sur toutes les veuves à Calixte : celles de Montréal, du Québec, des Amériques, du globe tout entier où pullulent tant de ces acariâtres, que j’ai la possibilité d’y retrouver enfin la seule vraie, la pie-grièche qui chatouille les doigts de l’écrivain et, avec ou sans son consentement, finit par se glisser entre les pages de ses écritures. Voilà comment et pourquoi j’ai déposé mes pénates à Montréal. Les événements rapportés plus haut, qui m’avaient fermé la porte de l’enseignement chez moi, ont étrangement contribué à me garrocher par-dessus bord… tribord, bâbord, bon bord… si fait, après toutes ces années, aujourd’hui je sais que ce jour d’octobre 1972, j’ai atterri du côté de mon avenir. Pourtant j’aimais mon coin de pays, j’aimais raconter, mais ne pouvais raconter librement mon peuple que vu de loin. J’ai songé à Gabrielle Roy, Anne Hébert, Marie-Claire Blais, ces exilées… Et je m’établis à Montréal. » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 94-95).

Sa résistance, Antonine Maillet l’a doit à cette mission dont elle s’est sentie investit très tôt dans la vie : celle de défendre les couleurs de l’Acadie, de l’aider à s’établir culturellement, et aussi celle de l’écrire. À ce sujet, l’œuvre phare de Maillet est sans contredit La Sagouine. Au Nouveau-Brunswick, et sans doute partout ailleurs au pays, on connaît beaucoup plus Antonine Maillet comme étant l’autrice de La Sagouine que comme récipiendaire du prix Goncourt pour Pélagie-la-Charrette. La Sagouine est un réel succès populaire, un phénomène de société, qui a su charmer un très large public intergénérationnel. C’est somme toute assez extraordinaire de constater que la Sagouine vole littéralement la vedette au prix Goncourt et à sa Pélagie, mais je ne crois pas que cela déplaise à Antonine Maillet.

En ce qui me concerne, si vous me demandez quelle est mon œuvre préférée d’Antonine Maillet et celle dont je me suis complètement appropriée, je vous répondrai : Les Cordes-de-Bois. J’ai lu Les Cordes-de-Bois pour la toute première fois lorsque j’en avais le plus de besoin, alors que j’étais étudiante à l’Université de Poitiers en licence de lettres modernes. J’étais déjà bombardée en lectures obligatoires de toutes sortes, je ne savais plus trop où me donner de la tête, mais quoi qu’il en soit, j’ai tout de même lu ce roman d’Antonine Maillet, tout à fait par hasard, alors que j’étais à la recherche d’un sujet de dissertation. D’abord, ce charmant titre m’a captivé. Ce dernier a vite fait de me ramener à ma réalité néo-brunswickoise. Voyez-vous, chez nous, en hiver, la maison familiale est chauffée non pas à l’électricité, qui de beaucoup trop cher au Nouveau-Brunswick, ni au gaz, mais on chauffe, encore aujourd’hui, avec des codes de bois qui sont minutieusement cordées avec soin chaque automne dans la cave, prêtes à affronter l’hiver. En fait, les codes de bois d’Antonine Maillet représentaient pour moi tout simplement du bois de chauffage et je trouvais ce titre fort original. Ce roman m’a vite conquise. J’allais en faire, plus tard, avec La Veuve enragée, mon sujet de mémoire de maîtrise de lettres modernes. La lecture des Cordes-de-Bois a été pour moi une véritable révélation. J’ai eu la chance de faire dédicacer mon exemplaire tout défraîchi et abîmé à couverture rouge des Cordes-de-Bois par Antonine Maillet lors du Salon du livre de Montréal de 2019. J’étais tout à fait exaltée. Au tournant des années 2000, j’étais peut-être en France, mais j’allais, de la France, étudier l’œuvre d’Antonine Maillet.

Je vous conseille fortement la lecture des Codes-de-Bois. Ce qui est plaisant dans ce roman, c’est l’explosion de fraîcheur, la vitalité des personnages, dont la Bessoune et la Piroune (cette dernière ayant été interprétée par une certaine Denise Filiatrault au théâtre), une couleur aux accents folks et, assurément, les voix acadiennes qui s’y entremêlent pour donner vie à ce fabuleux tableau, une épopée de vies acadiennes. La différence, pour ne pas dire décalage entre toutes mes lectures dites « obligatoires »de licence de lettres et ce roman d’Antonine Maillet était pour moi quelque chose d’extraordinaire. Aux côtés de ma favorite, les auteurs français, exclusivement masculins, que je devais absolument m’appliquer à lire et parfois à lire et relire encore tant et si bien que certains d’entre eux me laissaient complètement indifférente malgré tous mes efforts, et bien, ces auteurs étaient ternes, en comparaison. En fait, mes autres lectures n’éveillaient pas en moi le même sentiment d’enthousiasme que celle que j’avais ressentie en lisant Les-Cordes-de-Bois. Il n’a pas dû être très difficile pour Antonine Maillet de transposer, au théâtre, l’univers des cordes-de-bois par l’entremise de La Veuve enragée tellement son roman est vivant. Mes coups de cœur littéraires sont très rares, mais Les-Cordes-de-Bois, c’est tout à fait ça, un véritable coup de cœur.

Bientôt, un nouvel ouvrage d’Antonine Maillet viendra s’ajouter à sa bibliographie : Fabliau des temps nouveaux, qui devrait être disponible sous peu en librairie. Dans le cadre de l’édition 2019 du Salon du livre de Montréal, Antonine Maillet avait lu un extrait de cette œuvre inédite. Vous retrouverez quelques extraits sur ma chaîne YouTube.



Lors de sa présentation, Antonine Maillet dit avoir lu le même extrait à une amie aveugle. Quelques mois ont passé depuis le Salon du livre de Montréal, et ce n’est que depuis peu que j’ai fini par réaliser que cette amie aveugle en question pourrait être nulle autre que Viola Léger, l’interprète de la Sagouine. Cette grande comédienne dut se retirer de la scène publique en 2017, après avoir souffert d’un accident vasculaire cérébral. J’adore la sonorité du mot « fabliau ». 

Selon le dictionnaire le Trésor de la langue française, un fabliau est un « conte populaire en vers, satirique ou moral. ». À ce sujet, il aurait été question que ce terme « fabliau », absolument superbe et tellement original, apparaisse comme sous-titre, mais l’éditeur Pierre Filion de Leméac suggéra à Antonine Maillet de plutôt l’ajouter dans le titre. Choix très judicieux qui ouvre toute grande la porte à un autre merveilleux monde de la créatrice qu’il me tarde à découvrir. Plus tard, au courant du mois de mars, également aux éditions Leméac, ce sera au tour de Marc Séguin, dont j’avais bien aimé Nord Alice, de faire paraître son nouveau roman, Jenny Sauro. À noter que ce 12 mars, Antonine Maillet se joindra à Béatrice Picard pour une soirée hommage organisée par la Société littéraire de Laval. C’est un événement à ne pas manquer! Les billets sont déjà en vente, alors faites vite!

Laurence Salacrou, la femme qui écrit la vieillesse

Beaucoup de choses se sont passées depuis la publication de mon dernier billet, en mars de cette année. Le coronavirus a rapidement pris tou...