Lors de ces dernières semaines marquant la fin de l’été, j’ai eu
la très bonne idée de passer mes dimanches après-midis à la Grande Bibliothèque
de Montréal. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas fréquentée. On y trouve
une très belle collection d’ouvrages, très diversifiée, autant qu’au niveau des
domaines abordés que des auteures et auteurs qui y sont représentés. J’y passe
toujours des moments agréables.
Cet espace ouvert à tous offre la
possibilité de lectures illimitées. Je ne sais si les Montréalaises et
Montréalais d’origines réalisent leur chance, mais chez-moi, au
Nouveau-Brunswick, à ma bibliothèque locale, j’étais souvent frustrée de ne pas
retrouver sur le coup des auteur(e)s que j’aurais aimé lire ou relire. Bien
sûr, j’aurais eu la possibilité de commander les ouvrages manquant aux rayons
pour ensuite pouvoir les emprunter, mais à mes yeux, cela me retirait du
plaisir de la spontanéité. Face à cette situation, je me résignais et
j’empruntais d’autres livres. Cette situation, je suis certaine que tous
lecteurs avisés habitant une petite ville ou un petit village y sont confrontés
à un moment donné ou à un autre, dans leur vie de lecteurs. À Montréal, je
n’éprouve pratiquement plus de sentiments de frustrations littéraires. À
Montréal, je suis une lectrice comblée et complètement heureuse de me retrouver
devant de sis nombreux rayons, avec de si nombreux ouvrages. La collection
d’ouvrages littéraires est épatante et vaut assurément une petite fortune. Je
n’ai pas les moyens d’acheter en librairie tous les livres dont il me tarde de
faire la lecture. C’est une joie que de me retrouver à la Grande Bibliothèque,
le dimanche après-midi.
Aujourd’hui, j’en suis ressortie, encore
heureuse, avec quelques romans de Françoise Sagan, Violette Leduc et Nicolas
Bouyssi, de même que deux œuvres de Christian Prigent qui s’apparentent selon
moi plus au genre de la poésie que celui du roman : Le professeur et Une phrase pour ma
mère.
J’ai découvert Christian Prigent au tournant des années 2000, c’était avant la
période du « #MeToo ». J’étais alors étudiante en licence de lettres
modernes à l’Université de Poitiers. Dans le cadre du cours des métiers du
livre, nous avions la chance de rencontrer des auteurs français, et l’exercice
se terminait par la tenue d’une rencontre à la Médiathèque de Poitiers. Nous
avions la chance d’interviewer des écrivains devant public. Je crois qu’à
l’époque le titre Le professeur de
Prigent n’avait pas encore été publié. Par contre, je me souviens encore très
bien d’avoir lu Une phrase pour ma
mère. Ce recueil fut publié chez P.O.L en 1996. J’ai gardé pour ma
part un bon souvenir de Christian Prigent, et c’est la raison pour laquelle
j’ai pensé à lui plus tôt aujourd’hui. Je ne m’attendais pas à le retrouver
dans les rayons de la Grande Bibliothèque de Montréal, mais on ne l’appelle pas
la « Grande » Bibliothèque pour le rien, je vous en assure. La Grande
Bibliothèque de Montréal mérite bien son titre de noblesse.
J’ai commencé la lecture du Professeur de
Christian Prigent aujourd’hui, j’en ai lu les 17 premières pages. Je ne crois
pas qu’il s’agisse d’un livre qu’on puisse lire rapidement d’un seul trait.
J’ai pour ma part lu les 17 premières pages et je vais en faire une petite
pause pour le moment. De prime abord, en voulant lire Le professeur, j’avais
d’abord cru à un roman, dans lequel Prigent allait partager sa réalité de
professeur de lycée… Or, c’était mal connaître l’homme. Je ne suis pas une
spécialiste de Prigent. Je l’ai lu pour la toute première fois il y a plusieurs
années déjà. Aujourd’hui marquait ma première entrée, depuis des années,
presque deux décennies, dans son univers. C’est que ces derniers temps, j’ai eu
le goût de me replonger dans mes anciennes et très nombreuses lectures. J’ai
également voulu marquer le coup en rédigeant ce premier billet pour mon blogue
littéraire. J’ai également un événement-surprise que je vais vous raconter en
finale de cet article. Christian Prigent n’est en rien concerné ou peut-être je
lui dois ce coup du hasard. J’ai souvent rêvé de croiser dans les rues de
Montréal celle dont j’ai eu le privilège de croiser aujourd’hui.
Le professeur ressemble à mon avis de très près à Une phrase pour ma
mère, par, évidemment, l’absence totale de ponctuation. Le professeur de
Prigent fut publié en 2001, à des années lumières du mouvement
« #MeToo ». Je ne sais si cet ouvrage aurait pu être publié
aujourd’hui. La lecture des premières pages m’a littéralement choqué. J’ai eu
l’impression de lire l’ouvrage d’un mec mentalement dérangé. Et je me suis demandé
si Christian Prigent pouvait être un obsédé. J’ose espérer qu’il n’en est rien.
Ce n’est pas pour le salir que j’écris ainsi mes premières impressions. De
Poitiers, j’avais retenu l’image d’un intellectuel fin, gentil et accessible.
J’aimais son discours. Ses réponses étaient intéressantes. Il nous avait donné
une belle prestation lors de son interview. C’était définitivement un échange
de qualité. Je ne m’attendais pas à lire ce que j’ai lu dans les premières
pages du Professeur.
Cet ouvrage contient une postface dont le
premier paragraphe, ponctué, ne se fait guère rassurant quant à la possibilité
du fait vécu :
« Comme récit, Le professeur dit
ce qui fut. Son écriture essaie de précipiter ce-qui-fut dans un phrasé enrobé
où se dérobent les scènes que fixeraient des phrases. » (Christian
Prigent, Le professeur, Postface, Al Dente, 2001, p. 145).
L’auteur poursuit, un paragraphe plus
tard, avec ceci :
« Les corps et les ébats défilent,
cependant. Il s’agit d’un texte pornographique. Cela ne me pose aucun problème
moral. Mais pour qu’il y ait pornographie efficace, il faut l’illusion
naturaliste : l’adéquation frontale des signes aux organes et imbrications
d’organes. Si l’écriture trouble un peu cette croyance (en imposant la
volubilité d’un rythme non naturel et en doublant les scènes de commentaires
vaguement métapoétiques) — alors il s’agit sans doute d’autre choses. »
(Christian Prigent, Le professeur, Postface, Al Dente, 2001, p.
145).
À noter que pour le passage de clôture
« sans doute d’autre choses », autre est au singulier. Ou il aurait
peut être fallu mettre son choses au singulier. Poursuivrons la lecture de ce
postface poético-érotique :
« Le sexe est au cœur de ce que
j’écris. Parce qu’il concentre la question du rapport (à l’autre, au monde) et
des limites de la représentation. J’écris à partir des compromis misérables et
irraisonnés que, comme tous, je passe avec les ruses du désir, la dictée des
fantasmes, les rêves d’énamourement. J’ai écrit Le professeur à
partir de ces leurres. Mais on ne peut exposer l’échouage du leurre qu’en
mettant en scène le leurre : par exemple le fantasme de fusion des cœurs
et des corps et l’implacable banalité des scènes pornographiques. »
(Christian Prigent, Le professeur, Postface, Al Dente, 2001, p.
146).
Pour Prigent, je suis sans doute une
lectrice misérable qui n’y comprend rien. Je suis une lectrice romantique.
Lorsque je plonge dans la lecture d’une œuvre littéraire, même si je sais qu’il
s’agit d’une œuvre de fiction, je pars à la recherche d’une certaine vérité
provenant de l’auteur. Je pars inévitablement à la recherche du vrai qui s’y
cache. Car chaque roman contient son once de vérité. C’est la raison pour
laquelle j’ai interrompu la lecture de ce Professeur à
sa dix-septième page.
L’auteur poursuit sa postface en
confiant :
« Le professeur, dont à peu près
personne n’a parlé, a trouvé des lecteurs. Je voudrais que ce soit pour de
bonnes raisons. Le goût de la gaudriole hédoniste, le défi libertaire à l’ordre
moral, la mode des confessions sans écriture, la curiosité pour les manies
érotiques d’un auteur connu par ailleurs pour des poèmes abscons, des théories
alambiquées et des fictions tragico-comiques — seraient de mauvaises raisons.
Il n’est est qu’une bonne : l’inquiétude qui travaille ce livre. »
(Christian Prigent, Le professeur,
Postface, Al Dente, 2001, p. 146-147).
Personnellement, mon inquiétude réside en
le fait qu’en lisant quelques pages du Professeur, j’ai
eu l’impression de lire l’œuvre d’un homme aux prises avec de graves problèmes
de santé sexuelle. J’ai été particulièrement surprise par cette phrase :
« Le sexe est au cœur de ce que j’écris. ». Or, il y a près de deux
décennies, lorsque j’ai lu Prigent, je n’avais pas l’impression de lire un
homme qui était de si près lié avec sa sexualité. À la Médiathèque de Poitiers,
c’est cette question que j’aurais dû demander à Christian Prigent :
« Monsieur Prigent, avez-vous des déviances? ». En ce moment même ,
je ne connais pas la réponse à cette question. J’espère de tout cœur que Le Professeur ne
soit rien d’autre qu’une œuvre dégoûtante de provocation. Et en ce moment même,
je pense tout particulièrement à Mme Denise Bombardier, qui a eu le courage de
dénoncer la passivité oisive d’écrivains français à la sexualité malade.
Je suis certes déçu par ma lecture du Professeur, qui
avait pour mission de me relier à Christian Prigent, mais je suis prête à lui
donner une seconde chance. Après tout, l’auteur d’Une phrase pour ma
mère ne peut pas, n’est-ce pas, être sexuellement déviant? Je crois
que je vais laisser de côté la lecture du Professeur afin
de me consacrer à Une phrase pour ma
mère. Je crois que je me porterai mieux ainsi. J’ai aussi comme projet
de lecture son essai, À quoi bon encore des
poètes?, paru en 1996.
Après avoir vomit les dix-sept premières pages du Professeur de
Christian Prigent, je crois que ça résume ma très courte histoire avec cet
ouvrage, je suis sortie de la Grande Bibliothèque par la sortie abritant le
café bistro Le Parva dont je vous recommande le sandwich niçois,
un peu cher, mais dont seul le pain réchauffé aux olives du sandwich vaut le
détour. Dehors, j’ai découvert une vente de livres à 1 $ tenue par la Grande
Bibliothèque. Une biographie de Marguerite Duras – à seulement 1 $! — m’a
tenté, mais malheureusement, on ne pouvait payer que comptant. J’ai poursuivi
ma promenade sur Saint-Denis. Je me suis alors dirigée vers le cinéma Cineplex,
en espérant y voir le film Downton Abbey. C’est alors que j’ai eu le
bonheur de croiser la récipiendaire du prix Goncourt 1979 : Antonine
Maillet! Mon cœur a explosé de joie. J’habite Montréal depuis maintenant
presque une décennie. Malgré toutes ces années, je n’ai jamais eu le bonheur de
croiser Antonine Maillet. On aurait dit une petite poupée. Elle était
accompagnée d’une dame, à qui elle donnait le bras pour marcher. À 90 ans
passée, son pas est encore alerte. Lorsque je me suis retournée, je l’ai vu
disparaître, j’ai voulu la suivre, mais trop tard, le prix Goncourt 1979 et son
accompagnatrice avaient disparu. Pélagie-la-Charrette? Œuvre
extraordinaire, bien sûr, mais mon roman préféré d’Antonine Maillet,
c’est Les-Cordes-de-Bois, publié deux ans avant son sublime Pélagie-la-Charrette.
J’aurais aimé lui dire à quel point j’ai aimé Les-Cordes-de-Bois., parce
qu’on a dû déjà beaucoup lui parler de Pélagie-la-Charrette. J’aurais été
sa lectrice originale.
Plus tôt cet été, j’ai acheté et lu son
autobiographie,
Clin
d’œil au Temps qui passe, que je vous recommande fortement, si vous
souhaitez mieux connaître et découvrir quelques secrets de l’auteur de
La
Sagouine. En Acadie, de mon point de vue, Antonine Maillet est ce que Victor
Hugo est à la France. Alors vous comprendrez à quel point j’ai pu être surprise
par cette rencontre improbable. Et je la dois à Christian Prigent. Si son
Professeur m’avait
plu, j’aurais passé tout mon après-midi à le lire à la Grande Bibliothèque, et
je n’aurais jamais croisé, et pas par hasard, Antonine Maillet. Je ne crois pas
aux hasards.
Autre vérité : je suis à peu près certaine qu’Antonine
Maillet est allée voir avec son amie le film Downton Abbey. À mon arrivée
au Cineplex, une projection avait lieu. J’ai pu y assister de justesse. Je peux
donc me vanter d’avoir vu le même film qu’Antonine Maillet, dans la même salle,
à défaut d’avoir eu le courage de l’aborder.
Qui aurait pu deviner qu’un lien existait entre Christian
Prigent et Antonine Maillet? Du moins ce lien existe pour moi.