Beaucoup de choses se sont passées depuis la publication de mon dernier billet, en mars de cette année. Le coronavirus a rapidement pris toute la place, tant sur le plan personnel que professionnel, et je dois dire que pendant cette période trouble, je n’ai pas beaucoup lu. Or, j’avais en ce sens toutes les possibilités du monde. Travaillant de la maison, ma bibliothèque était plus que jamais accessible. Bien des lectures m’y attendent encore, dont la biographie de Romain Gary écrite par Dominique Bona.
Impossible pour moi de lire à mon rythme habituel. Ma
concentration était diluée. Le coronavirus m’a vidé, pendant un certain temps,
de tout intérêt littéraire, et de toutes mes énergies. Il m’est arrivé plus
d’une fois de me coucher pour la nuit directement après avoir terminé ma
journée de travail. Pendant de longues semaines, j’ai suivi de très près
l’actualité, dévorant les bulletins de nouvelles tant sur les chaînes CNN, LCN,
Radio-Canada, RDI, que TV5, Euro News et BBC. Je tentais de rendre un sens à ce
mal invisible, afin de le comprendre. Ce à quoi venaient s’ajouter bien sûr les
points de presse quotidiens du gouvernement de François Legault et, tout aussi
régulièrement, ceux de Justin Trudeau. Cela m’aura pris du temps, mais j’ai
fini par réaliser que j’allais devoir m’y faire.
Le coronavirus est ici pour de bon. Je me suis peu à peu
adaptée à ma nouvelle vie, celle du confinement, et dans laquelle mon petit
appartement du Plateau est trop rapidement devenu mon unique univers. Je n’y
étais pas prête. Heureusement, depuis plusieurs semaines déjà, restaurants,
cafés, ainsi que ma salle de gym ont à nouveau ouverts leurs portes. Alors
qu’un semblant de normalité s’installait, le port du masque est devenu
obligatoire en lieu public, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. Le
gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick a quant à lui mis en place des mesures
très strictes qui m’empêchent, encore pour le moment, de rendre visite à ma
famille. J’espère un assouplissement des règles pour cet automne, malgré la
possibilité d’une deuxième vague. Manquer Pâques, la saison estivale, passe
encore, mais manquer la chasse à la perdrix, ça non. Jamais. En attendant,
l’été se poursuit et pour mon plus grand bonheur, je suis redevenue la lectrice
que j’étais, celle d’avant la période de confinement. Je lis régulièrement, et
plusieurs ouvrages à la fois, comme je l’ai toujours fait.
Parmi mes lectures achevées, nous retrouvons un coup de
cœur, L’ombre d’un roi de Laurence
Salacrou. J’ai commandé ce livre par erreur sur le site de la Grande Bibliothèque
de Montréal. J’avais réservé ce roman en croyant que j’empruntais un ouvrage
écrit par Armand Salacrou. J’ai dû attendre deux semaines avant de réaliser mon
erreur, à la réception de l’ouvrage. Après l’avoir attendu avec impatience, je
n’allais tout de même pas me priver de la lecture de L’ombre d’un roi, même s’il s’agissait-là d’un roman écrit par la
fille, et non par le père. Jusqu’à ce jour, Armand Salacrou demeure pour moi un
inconnu. Je n’ai encore rien lu de cet homme de théâtre. Tout ce que je sais
d’Armand Salacrou, c’est qu’il siégea à l’Académie Goncourt en l’année
fabuleuse de 1979, lorsqu’Antonine Maillet reçut sa distinction.
Il y a déjà quelques mois, je m’étais donnée comme objectif
de lire au moins un ouvrage écrit par chacun des membres de l’Académie du prix
Goncourt ayant siégé en l’année 1979. De ce groupe, j’ai entre autres lu Les allumettes suédoises de Robert
Sabatier, Un petit bourgeois et de
François Nourissier, Le démon de minuit
de Hervé Bazin, Vendredi ou La Vie
sauvage de Michel Tournier et Le
Rempart des Béguines de Françoise Mallet-Joris. Il semble qu’à travers les
différentes époques, le jury du prix Goncourt a toujours compté une figure
féministe amenant du même coup une petite brise de scandale. En ses premières
années d’existence, il y a d’abord eu Colette. Quelques décennies plus tard, en
1979, la fougueuse du groupe s’appelait Françoise Mallet-Joris, une écrivaine
et parolière issue de l’aristocratie belge.
Parmi ces membres, un seul m’intimidait à m’en donner
quelque peu la chair de poule. Cet auteur qui me donnait la frousse, c’était
Hervé Bazin. Sans raison précise, je craignais Hervé Bazin. Peut-être était-ce
en raison de sa carrure ou encore de par sa position sociale prestigieuse.
Hervé Bazin fut président de l’Académie Goncourt de 1973 à 1996. J’ai tôt fait
de réaliser mon tort, ma lecture d’un premier roman de Bazin, Le démon de minuit, allait vite fait
effacer toutes idées préconçues. J’ai également lu de lui son roman Qui j’ose aimer. Je n’ai lu que ces deux
ouvrages, mais déjà, j’ai le sentiment qu’Hervé Bazin aime bien exploiter le
thème de la famille dans ses œuvres. Vraiment, les sagas familiales semblent
être ce à quoi il aime confronter ses lecteurs, et j’adore. J’ai passé une
partie de mon adolescence à lire rêveusement les romans de Virginia C. Andrews.
Les sagas familiales, c’est quelque chose qui fait partie de ce que j’aime en
littérature. En ce qui concerne Hervé Bazin, vous n’avez rien à craindre.
En fait, mon « monstre » au sein du jury du prix
Goncourt 1979, ce n’était pas Hervé Bazin, tel que je l’escomptais, mais plutôt
François Nourissier. François Nourissier? Je ne le connaissais pas. Ce que j’ai
lu de lui a tôt fait de me dégoûter de son personnage et de sa personne. J’ai
d’abord lu Un petit bourgeois, et
j’ai ensuite enchaîné avec Eau-de-feu.
Lire du François Nourissier, ce n’est pas plonger dans le bonheur somptueux qui
est de celui de lire, par exemple, un roman de Françoise Sagan. Je n’aime
définitivement pas l’homme, je n’aime pas l’auteur, mais François Nourissier,
c’est un écrivain très fort, un très grand écrivain, qui jamais ne cherche à
épargner ses lecteurs. La vérité est toujours affichée, sans complaisance.
Disons que lire François Nourissier va assurément vous embêter pour au final,
vous donner un bon coup de poing dans l’estomac. Et ça fait mal. Dans ces deux
ouvrages, Un petit bourgeois et Eau-de-feu,
François Nourissier ne cache rien de l’homme exécrable qu’il a été. Il expose
tout, sans pudeur, sans complexe. Pour moi, François Nourissier représente le
portait type du parfait écrivain salopard, qui ne se refuse absolument rien, et
absolument pas celui d’écrire.
Je suis peut-être une lectrice sévère, mais je crois
sincèrement que n’importe quel lecteur contemporain d’Un petit bourgeois devrait, à mon avis, partager mon dégoût de
Nourissier. Les plus curieux liront Un
petit bourgeois. Lisez d’abord sans préjugés, car ceux-ci viendront plus
tard à vous. De par cette lecture, nous plongeons dans le cœur même de François
Nourissier, de tout ce qui fit l’écrivain qu’il a été, de ses forces, mais
surtout de ses faiblesses. Cette lecture dérange, car l’homme ne se cache
jamais derrière l’écrivain et par moment, cela donne envie de crier. À la suite
de quoi, faisant suite à cette puanteur littéraire, l’arrivée de Michel
Tournier dans ma vie avec sa littérature jeunesse a été un réel vent de fraîcheur.
Je n’étais pas très enthousiaste quant à l’idée de lire les aventures de
Robinson Crusoé. J’ai vraiment dû m’appliquer pour en lire les premières pages,
mais une fois la lecture bien entamée, Vendredi
ou La Vie sauvage de Michel Tournier m’a beaucoup plus. Vendredi étant le
nom donné à un aborigène que Robinson sauva d’une mort certaine, en un certain
vendredi. Vendredi ou La Vie sauvage est
un petit roman tout à fait charmant qui s’inscrit dans le cadre de la
littérature jeunesse.
Quant à L’ombre d’un
roi de Laurence Salacrou, il s’agit d’un roman réaliste qui raconte
l’histoire d’une famille bourgeoise qui expérimente la vieillesse de ses deux
patriarches. Ces derniers ont vécu largement, du quartier
Saint-Germain-des-Prés à Paris jusqu’en province, dans demeure somptueuse
dominant la mer où le couple s’est retiré. Il est facile d’imaginer qu’il
s’agisse là de la somptueuse villa ayant appartenu à Armand Salacrou, faisant
face à la mer, au Havre.
Antoine Ballaresque, décrit comme étant un « vieux
monsieur » dès les toutes premières pages du roman, fut un musicien qui
autrefois connut à Paris des heures de gloire. De tempérament exécrable, il a
trompé son épouse avec de nombreuses maîtresses toute sa vie durant, au vu et
su de cette dernière. Celle qui dut supporter ce calvaire n’est pas nommée dans
le roman. On ne connaît pas le nom de cette femme qui a souffert des
infidélités de son mari, mais on en connaît le visage. L’une des activités
préférées de la vieille dame est de regarder des photographies. Elle se plaît à
contempler celle qu’elle fut autrefois. Le couple a deux enfants, deux filles,
dont Jeanne, la préférée qui semble porter à elle seule le fardeau accompagnant
cette vieillesse, et Suzou : « Et les deux vieux, tout doux, tout
doux, continuèrent à rapetisser. Ils s’amenuisèrent en marionnettes de plus en plus
enfantines pour un théâtre de plus en plus simple, un Guignol pour tout-petits.
Leurs coups de bâton, pourtant, faisaient encore sauter le cœur de Jeanne,
surtout quand la Reine s’emparait du gourdin. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p.
177).
Dans ce roman de Laurence Salacrou, au fil des pages, on
attend la mort de pied ferme. Il s’agit, ultimement, du sort qui attend le
vieux monsieur, le Roi, et la vieille dame, la Reine. Il ne peut en être
autrement. On s’y attendait quelque peu, c’est Antoine qui meurt en premier,
sans crier gare :
« Jean conduisit Jeanne en voiture à la villa rose.
Bénédicte leur ouvrit la porte :
- Faut pas pleurer. Cela s’est passé tout simplement. Je
retapais le lit de monsieur comme tous les matins. Je lui changeais ses draps.
Il était assis dans son fauteuil, là, à côté de son lit. Tout à coup il a raidi
les jambes, oui, dans un sursaut. Sa loupe est tombée. Monsieur était parti. »
(Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi,
Calmann-Lévy, 1992, p. 196).
La mort est arrivée, platement, sans cérémonie.
« Mais la tempête et les orages, qui devaient éclater
le jour de la mort du Roi? Rien…? Juste des jambes qui s’étirent, une loupe qui
tombe et le murmure des femmes?
L’oiseau qui chute de sa branche un jour de grand gel ne
fait pas plus de bruit. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p. 197).
N’en doutez point, Antoine Ballaresque, alias le Roi, c’est
Armand Salacrou.
Je ne regrette pas cette lecture improviste de L’ombre d’un roi, ce fut une belle surprise.
Toujours chez Calmann-Lévy, Laurence Salacrou a également écrit Le mari qui aboie, que j’espère lire
sous peu. Par ailleurs, mon objectif n’est pas celui de prendre un chemin
précis et droit, mais de m’étendre, de prendre mes aises. Lire ce qui me plaît,
c’est comme étant le luxe ultime. Et ayant le privilège de vivre à Montréal,
même au temps du coronavirus, la Grande bibliothèque de Montréal a beaucoup à
offrir.
La plume de Laurence Salacrou est très particulière. On y
sent l’expérience de l’écriture, de par sa propre expérience, et celle de son
père. Derrière l’ombre imposante de ce roi, on devine aisément la figure
paternelle. Je l’apprécie, Laurence Salacrou, dans sa sobriété.