9 août 2020

Laurence Salacrou, la femme qui écrit la vieillesse

Beaucoup de choses se sont passées depuis la publication de mon dernier billet, en mars de cette année. Le coronavirus a rapidement pris toute la place, tant sur le plan personnel que professionnel, et je dois dire que pendant cette période trouble, je n’ai pas beaucoup lu. Or, j’avais en ce sens toutes les possibilités du monde. Travaillant de la maison, ma bibliothèque était plus que jamais accessible. Bien des lectures m’y attendent encore, dont la biographie de Romain Gary écrite par Dominique Bona.

Impossible pour moi de lire à mon rythme habituel. Ma concentration était diluée. Le coronavirus m’a vidé, pendant un certain temps, de tout intérêt littéraire, et de toutes mes énergies. Il m’est arrivé plus d’une fois de me coucher pour la nuit directement après avoir terminé ma journée de travail. Pendant de longues semaines, j’ai suivi de très près l’actualité, dévorant les bulletins de nouvelles tant sur les chaînes CNN, LCN, Radio-Canada, RDI, que TV5, Euro News et BBC. Je tentais de rendre un sens à ce mal invisible, afin de le comprendre. Ce à quoi venaient s’ajouter bien sûr les points de presse quotidiens du gouvernement de François Legault et, tout aussi régulièrement, ceux de Justin Trudeau. Cela m’aura pris du temps, mais j’ai fini par réaliser que j’allais devoir m’y faire.

Le coronavirus est ici pour de bon. Je me suis peu à peu adaptée à ma nouvelle vie, celle du confinement, et dans laquelle mon petit appartement du Plateau est trop rapidement devenu mon unique univers. Je n’y étais pas prête. Heureusement, depuis plusieurs semaines déjà, restaurants, cafés, ainsi que ma salle de gym ont à nouveau ouverts leurs portes. Alors qu’un semblant de normalité s’installait, le port du masque est devenu obligatoire en lieu public, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. Le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick a quant à lui mis en place des mesures très strictes qui m’empêchent, encore pour le moment, de rendre visite à ma famille. J’espère un assouplissement des règles pour cet automne, malgré la possibilité d’une deuxième vague. Manquer Pâques, la saison estivale, passe encore, mais manquer la chasse à la perdrix, ça non. Jamais. En attendant, l’été se poursuit et pour mon plus grand bonheur, je suis redevenue la lectrice que j’étais, celle d’avant la période de confinement. Je lis régulièrement, et plusieurs ouvrages à la fois, comme je l’ai toujours fait.

Parmi mes lectures achevées, nous retrouvons un coup de cœur, L’ombre d’un roi de Laurence Salacrou. J’ai commandé ce livre par erreur sur le site de la Grande Bibliothèque de Montréal. J’avais réservé ce roman en croyant que j’empruntais un ouvrage écrit par Armand Salacrou. J’ai dû attendre deux semaines avant de réaliser mon erreur, à la réception de l’ouvrage. Après l’avoir attendu avec impatience, je n’allais tout de même pas me priver de la lecture de L’ombre d’un roi, même s’il s’agissait-là d’un roman écrit par la fille, et non par le père. Jusqu’à ce jour, Armand Salacrou demeure pour moi un inconnu. Je n’ai encore rien lu de cet homme de théâtre. Tout ce que je sais d’Armand Salacrou, c’est qu’il siégea à l’Académie Goncourt en l’année fabuleuse de 1979, lorsqu’Antonine Maillet reçut sa distinction.

Il y a déjà quelques mois, je m’étais donnée comme objectif de lire au moins un ouvrage écrit par chacun des membres de l’Académie du prix Goncourt ayant siégé en l’année 1979. De ce groupe, j’ai entre autres lu Les allumettes suédoises de Robert Sabatier, Un petit bourgeois et de François Nourissier, Le démon de minuit de Hervé Bazin, Vendredi ou La Vie sauvage de Michel Tournier et Le Rempart des Béguines de Françoise Mallet-Joris. Il semble qu’à travers les différentes époques, le jury du prix Goncourt a toujours compté une figure féministe amenant du même coup une petite brise de scandale. En ses premières années d’existence, il y a d’abord eu Colette. Quelques décennies plus tard, en 1979, la fougueuse du groupe s’appelait Françoise Mallet-Joris, une écrivaine et parolière issue de l’aristocratie belge.

Parmi ces membres, un seul m’intimidait à m’en donner quelque peu la chair de poule. Cet auteur qui me donnait la frousse, c’était Hervé Bazin. Sans raison précise, je craignais Hervé Bazin. Peut-être était-ce en raison de sa carrure ou encore de par sa position sociale prestigieuse. Hervé Bazin fut président de l’Académie Goncourt de 1973 à 1996. J’ai tôt fait de réaliser mon tort, ma lecture d’un premier roman de Bazin, Le démon de minuit, allait vite fait effacer toutes idées préconçues. J’ai également lu de lui son roman Qui j’ose aimer. Je n’ai lu que ces deux ouvrages, mais déjà, j’ai le sentiment qu’Hervé Bazin aime bien exploiter le thème de la famille dans ses œuvres. Vraiment, les sagas familiales semblent être ce à quoi il aime confronter ses lecteurs, et j’adore. J’ai passé une partie de mon adolescence à lire rêveusement les romans de Virginia C. Andrews. Les sagas familiales, c’est quelque chose qui fait partie de ce que j’aime en littérature. En ce qui concerne Hervé Bazin, vous n’avez rien à craindre.

En fait, mon « monstre » au sein du jury du prix Goncourt 1979, ce n’était pas Hervé Bazin, tel que je l’escomptais, mais plutôt François Nourissier. François Nourissier? Je ne le connaissais pas. Ce que j’ai lu de lui a tôt fait de me dégoûter de son personnage et de sa personne. J’ai d’abord lu Un petit bourgeois, et j’ai ensuite enchaîné avec Eau-de-feu. Lire du François Nourissier, ce n’est pas plonger dans le bonheur somptueux qui est de celui de lire, par exemple, un roman de Françoise Sagan. Je n’aime définitivement pas l’homme, je n’aime pas l’auteur, mais François Nourissier, c’est un écrivain très fort, un très grand écrivain, qui jamais ne cherche à épargner ses lecteurs. La vérité est toujours affichée, sans complaisance. Disons que lire François Nourissier va assurément vous embêter pour au final, vous donner un bon coup de poing dans l’estomac. Et ça fait mal. Dans ces deux ouvrages, Un petit bourgeois et Eau-de-feu, François Nourissier ne cache rien de l’homme exécrable qu’il a été. Il expose tout, sans pudeur, sans complexe. Pour moi, François Nourissier représente le portait type du parfait écrivain salopard, qui ne se refuse absolument rien, et absolument pas celui d’écrire.

Je suis peut-être une lectrice sévère, mais je crois sincèrement que n’importe quel lecteur contemporain d’Un petit bourgeois devrait, à mon avis, partager mon dégoût de Nourissier. Les plus curieux liront Un petit bourgeois. Lisez d’abord sans préjugés, car ceux-ci viendront plus tard à vous. De par cette lecture, nous plongeons dans le cœur même de François Nourissier, de tout ce qui fit l’écrivain qu’il a été, de ses forces, mais surtout de ses faiblesses. Cette lecture dérange, car l’homme ne se cache jamais derrière l’écrivain et par moment, cela donne envie de crier. À la suite de quoi, faisant suite à cette puanteur littéraire, l’arrivée de Michel Tournier dans ma vie avec sa littérature jeunesse a été un réel vent de fraîcheur. Je n’étais pas très enthousiaste quant à l’idée de lire les aventures de Robinson Crusoé. J’ai vraiment dû m’appliquer pour en lire les premières pages, mais une fois la lecture bien entamée, Vendredi ou La Vie sauvage de Michel Tournier m’a beaucoup plus. Vendredi étant le nom donné à un aborigène que Robinson sauva d’une mort certaine, en un certain vendredi. Vendredi ou La Vie sauvage est un petit roman tout à fait charmant qui s’inscrit dans le cadre de la littérature jeunesse.

Quant à L’ombre d’un roi de Laurence Salacrou, il s’agit d’un roman réaliste qui raconte l’histoire d’une famille bourgeoise qui expérimente la vieillesse de ses deux patriarches. Ces derniers ont vécu largement, du quartier Saint-Germain-des-Prés à Paris jusqu’en province, dans demeure somptueuse dominant la mer où le couple s’est retiré. Il est facile d’imaginer qu’il s’agisse là de la somptueuse villa ayant appartenu à Armand Salacrou, faisant face à la mer, au Havre.

Antoine Ballaresque, décrit comme étant un « vieux monsieur » dès les toutes premières pages du roman, fut un musicien qui autrefois connut à Paris des heures de gloire. De tempérament exécrable, il a trompé son épouse avec de nombreuses maîtresses toute sa vie durant, au vu et su de cette dernière. Celle qui dut supporter ce calvaire n’est pas nommée dans le roman. On ne connaît pas le nom de cette femme qui a souffert des infidélités de son mari, mais on en connaît le visage. L’une des activités préférées de la vieille dame est de regarder des photographies. Elle se plaît à contempler celle qu’elle fut autrefois. Le couple a deux enfants, deux filles, dont Jeanne, la préférée qui semble porter à elle seule le fardeau accompagnant cette vieillesse, et Suzou : « Et les deux vieux, tout doux, tout doux, continuèrent à rapetisser. Ils s’amenuisèrent en marionnettes de plus en plus enfantines pour un théâtre de plus en plus simple, un Guignol pour tout-petits. Leurs coups de bâton, pourtant, faisaient encore sauter le cœur de Jeanne, surtout quand la Reine s’emparait du gourdin. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p. 177).

Dans ce roman de Laurence Salacrou, au fil des pages, on attend la mort de pied ferme. Il s’agit, ultimement, du sort qui attend le vieux monsieur, le Roi, et la vieille dame, la Reine. Il ne peut en être autrement. On s’y attendait quelque peu, c’est Antoine qui meurt en premier, sans crier gare :

« Jean conduisit Jeanne en voiture à la villa rose.

Bénédicte leur ouvrit la porte :

- Faut pas pleurer. Cela s’est passé tout simplement. Je retapais le lit de monsieur comme tous les matins. Je lui changeais ses draps. Il était assis dans son fauteuil, là, à côté de son lit. Tout à coup il a raidi les jambes, oui, dans un sursaut. Sa loupe est tombée. Monsieur était parti. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p. 196).

La mort est arrivée, platement, sans cérémonie.

« Mais la tempête et les orages, qui devaient éclater le jour de la mort du Roi? Rien…? Juste des jambes qui s’étirent, une loupe qui tombe et le murmure des femmes?

L’oiseau qui chute de sa branche un jour de grand gel ne fait pas plus de bruit. » (Laurence Salacrou, L’ombre d’un roi, Calmann-Lévy, 1992, p. 197).

N’en doutez point, Antoine Ballaresque, alias le Roi, c’est Armand Salacrou.

Je ne regrette pas cette lecture improviste de L’ombre d’un roi, ce fut une belle surprise. Toujours chez Calmann-Lévy, Laurence Salacrou a également écrit Le mari qui aboie, que j’espère lire sous peu. Par ailleurs, mon objectif n’est pas celui de prendre un chemin précis et droit, mais de m’étendre, de prendre mes aises. Lire ce qui me plaît, c’est comme étant le luxe ultime. Et ayant le privilège de vivre à Montréal, même au temps du coronavirus, la Grande bibliothèque de Montréal a beaucoup à offrir.

La plume de Laurence Salacrou est très particulière. On y sent l’expérience de l’écriture, de par sa propre expérience, et celle de son père. Derrière l’ombre imposante de ce roi, on devine aisément la figure paternelle. Je l’apprécie, Laurence Salacrou, dans sa sobriété.

1 mars 2020

Ça y est : Antonine Maillet publie Fabliau des Temps Nouveaux chez Leméac


Je l’attendais avec impatience, et le voici maintenant disponible en librairie. Le dernier ouvrage d’Antonine Maillet, Fabliau des Temps Nouveaux a été publié chez son éditeur Leméac. J’ai acheté mon exemplaire chez Renaud-Bray, où Fabliau des Temps Nouveaux nous est présenté emballé d’une fine particule de plastique qu’on peine à enlever sans abîmer le petit livre. Le fabliau de Maillet est fort court, il fait à peine 70 pages. J’aurai aimé avoir affaire à quelque chose de plus dense, à l’image de Les-Cordes-de-Bois, par exemple. Il va sans dire que j’ai été surprise par le petit volume, l’écrivaine nous ayant habitués à des romans un peu plus costauds. Et c’est bien là le problème, Fabliau des Temps Nouveaux n’est pas un roman, mais un conte qui emprunte au style de la fable. Il aurait été sans doute difficile d’étirer la sauce outre mesure pour offrir à ses lecteurs quelques pages supplémentaires. Personnellement, ce qui me plaît, c’est le roman et par conséquent, je cherchais, en lisant Fabliau des Temps Nouveaux, un nouveau roman d’Antonine Maillet. Or, je ne suis pas déçue pour autant.

On retrouve dans Fabliau des Temps Nouveaux le style accomplit d’Antonine Maillet. Un vieil adage dit que c’est dans les petits pots qu’on retrouve les meilleurs onguents, et c’est sans doute vrai. L’œuvre est courte, certes, mais ce fabliau d’Antonine Maillet est savoureux et offre de belles couleurs qui sont absolument à découvrir. On y reconnaît Antonine Maillet. J’ai eu l’impression de lire quelque chose de très frais, de vivifiant dont il est de votre devoir de vous approprier en lisant le Fabliau des Temps Nouveaux. Dans cette histoire, le petit nouveau du village, sans doute situé quelque part en Acadie, et pourquoi pas à Bouctouche, un Pain Chaud pétri par les doigts de sa mère, se joint aux enfants des voisins : un oiseau, un poisson, une fleur, un chat. Les cinq acolytes deviendront rapidement les meilleurs amis du monde.

Tranquillement, les jeux de la vieille n’amusent plus Pain Chaud qui cherche à vivre des aventures plus exaltantes. Ayant semé la pagaille au village, Pain Chaud ressent vite des remords et ses trente-six larmes viennent rapidement le métamorphoser en petit monstre dont le menton tombe au niveau du nombril… À titre de bonne boulangère et de bonne maman, Mme Painchaud vint au secours de son fils. Il n’en demeure pas moins que le besoin d’aventure se fait sentir, alors que les uns et les autres font entendre leurs voix afin que la paix et la tranquillité reviennent au pays des côtes. On propose un tour de la planète dont le Temps se chargera de présenter à ses compagnons, puis suivra de nouveaux guides : le Passé, le Futur et l’Avenir. Les amis se donneront des défis à surmonter qui, tout à tour, leur permettront de découvrir le monde et ses problèmes : la pollution, les inégalités sociales, les exodes migratoires, les guerres. Devant l’ampleur de toutes ces catastrophes modernes, Pain Chaud s’accroche courageusement :

« À cette image du Temps qui surgit sous son front, Pain Chaud accroche ses jambes à son cou et se hâte de rentrer auprès des siens.
Et c’est alors, au moment de retrouver son monde, juste comme il les aperçoit tous les quatre aux pieds du maître et de ses deux acolytes, le vénérable Passé et l’Avenir fougueux, que le cerveau en ébullition du petit Pain gonfle à en faire craquer sa croûte. Il se jette aux pieds du Temps :
– Ô maître, dessinez-nous des Temps Nouveaux de toutes les couleurs!
Le Temps sourit à son disciple insatiable, fait un large tour des têtes, puis attrapant au vol un oiseau de nuit, il lui emprunte sa plus longue plume et la plonge dans l’arc-en-ciel du soir.
Espoir. » (Antonine Maillet, Fabliau des Temps Nouveaux, Leméac, p. 67-68).

Ces Temps Nouveaux, c’est l’Avenir, version Antonine Maillet, mais en mieux.

Moi qui avais envie d’un nouveau roman d’Antonine Maillet, je viens d’emprunter à la Grande Bibliothèque Les-Codes-de-Bois, que je n’ai pas relu depuis… environ 15 ans. J’ai bien sûr mon propre exemplaire des Cordes-de-Bois, mais à l’époque, je l’ai lu et relu bien des fois, ce qui fait en sorte qu’aujourd’hui, mon livre est quelque peu fatigué, les premières pages n’y sont plus très solides. En commençant ce blogue, j’avais pour projet de relire mes lectures universitaires, mais j’ai vite constaté que la relecture me replongeait directement dans mes souvenirs de lecture pour ainsi me rendre compte que, mine de rien, je n’avais rien oublié. Alors j’ai bien hâte de voir comment je vais réagir à la relecture des Cordes-de-Bois et si ce roman d’Antonine Maillet va toujours m’inspirer la même exaltation.

10 février 2020

Antonine Maillet nommée citoyenne d’honneur de la Ville de Montréal!

L’année 2020 a commencé en grand pour l’écrivaine Antonine Maillet! Le 8 janvier dernier, l’écrivaine s’est vu décerner la citoyenneté d’honneur de la Ville de Montréal. Voilà donc une distinction de plus qui vient s’ajouter à celle qui est lauréate du prix Goncourt 1979, officière de l’ordre des Palmes académiques 1980, commandeure de l’ordre du Mérite 1997, officière de la Légion d’Honneur 2003… Ce n’est pas la première fois que la Ville de Montréal remet un titre honorifique à Antonine Maillet. En 1981, trois ans après avoir remporté le prix Goncourt, la rue Wilder, où elle a habité pendant de nombreuses années dans le quartier Outremont, a été rebaptisée l’avenue Antonine Maillet. Une décennie plus tard, en 1991, l’écrivaine acadienne fut nommée Grande Montréalaise. Depuis son arrivée dans les années 70 jusqu’à aujourd’hui, la Ville de Montréal a su reconnaître le talent de l’écrivaine et l’honore, depuis quatre décennies, toujours en grande pompe.

L’obtention d’une nouvelle distinction n’en est jamais une de trop et est toujours à célébrer en grand, surtout lorsqu’il s’agit d’Antonine Maillet. Évidemment, l’Acadie est très importante dans l’œuvre d’Antonine Maillet, mais on doit à Montréal une fière chandelle, car c’est ici, dans ce Montréal que j’habite moi aussi, que s’est forgée son identité de créatrice. Pour bien le comprendre, on se doit de lire Clin d’œil au Temps qui passe, publié chez Leméac en 2019. On retrouve également ailleurs des traces de son affection pour Montréal, entre autres dans cet article tiré du Devoir, dans lequel Antonine Maillet déclare : « Je ne pourrais plus vivre en Acadie aujourd’hui. Je ne dis pas que j’en mourrais, mais je n’y serais pas aussi heureuse qu’à Montréal. C’est ici que j’ai fait ma vie. Et puis, si j’habitais là-bas, je ne serais plus aussi nostalgique de mon pays natal. Comment ferais-je alors pour écrire? » (Rue Antonine-Maillet, à Outremont — « Montréal, c’est ma ville! », Le Devoir, collaboration spéciale d’Émilie Corriveau, le 16 novembre 2011).

Le 8 janvier 2020, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, remit à Antonine Maillet sa citoyenneté d’honneur en soulignant qu’elle est « une grande femme de lettres, une icône de la littérature. » Le hasard faisant toujours bien les choses pour Antonine Maillet, peut-être que le fait que Valérie Plante se soit retrouvée assise à ses côtés lors de la soirée d’ouverture de la dernière édition du Salon du livre de Montréal a quelque chose à voir avec cet hommage. Afin de souligner l’événement à ma manière, je viens de relire quelques pages de son Clin d’œil au Temps qui passe, son œuvre autobiographique qui ne se veut pas réellement en être une car Antonine Maillet n’a jamais voulu écrire son autobiographie, au sens propre du terme. Clin d’œil au Temps qui passe se lit comme un récit, l’écrivaine nous révèle, courageusement, à nous, ses lecteurs, quelques secrets. En ce sens Nathalie Petrowski et Antonine Maillet se rejoignent. Malgré leur célébrité, toutes deux n’ont pas hésité à confier publiquement certaines blessures ayant marqué le parcours de leur existence. Mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est leur extraordinaire résilience et la volonté d’exceller dans leurs activités professionnelles. En ce sens, Nathalie Petrowski et Antonine Maillet ne sont pas si différentes l’une de l’autre. Je vous recommande fortement tant la lecture de ce Clin d’œil au Temps qui passe d’Antonine Maillet que des mémoires de Nathalie Petrowski, La critique n’a jamais tué personne, ne serait-ce que pour se familiariser avec leurs parcours réciproques. Vous ne pourrez que l’apprécier l’une et l’autre que davantage. On en apprend des choses, en lisant Clin d’œil au Temps qui passe. On parvient ainsi à réaliser par soi-même le rôle de première importance qu’a joué l’ethnographe Luc Lacourcière, qui fut le directeur de thèse à l’Université Laval de Maillet, dans son cheminement :

« À la suggestion du professeur Luc Lacourcière, j’avais renoncé au thème de la gigantomachie chez Rabelais pour celui plus spécifique de Rabelais et l’oralité en Acadie. Après plus d’un demi-siècle, j’entends encore la voix à la fois chaleureuse et nasillarde du plus grand spécialiste en littérature orale acadienne : « Rabelais est inépuisable. Pourquoi vous hasarder sur un terrain que d’autres peuvent emprunter autant que vous, alors qu’il existe une voix qui n’appartient qu’à vous seule. Je vous recommande d’aller dans cette direction. » » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 73).

Cette direction, celle qui a forgé son originalité, Antonine Maillet la suivit toute sa vie. Sa thèse de doctorat, Rabelais et les traditions populaires en Acadie fut un point culminant, lui permettant de dépoussiérer le lien nous unissant à la France et, par le fait même, d’exploiter toute la richesse de ce vocabulaire appartenant à un temps ancien, mais toujours présent dans le pays d’Acadie de ses aïeux. Des années plus tard, suite à une brillante carrière d’universitaire, forte de son succès populaire inattendu avec La Sagouine, Antonine Maillet décida, dans les années 70, de s’établir dans ce Montréal qui semblait alors l’accueillir à bras ouverts. Et ce, malgré quelques incompréhensions exprimées par son public québécois… 

« « Les Acadiens, vous êtes encore vivants? » Je devais répondre à cette question. Mais, pour y parvenir, il ne suffisait pas d’avoir été témoin de sa petite histoire. Pour situer ce morceau de vie dans les paramètres de notre espace-temps, il me fallait du recul. Ce flot de visions, de cris, de murmures, de chuchotements, ragornés durant quarante ans, il m’était impossible de le déverser du haut de l’arbre penché sur ma maison natale. J’avais besoin de liberté et de distance. » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 94).

C’est donc de Montréal qu’Antonine Maillet écrivit l’essentiel de ses romans et pièces de théâtre :

« Du carreau de fenêtre d’un grenier, au pied du mont Royal, j’avais vue sur toutes les veuves à Calixte : celles de Montréal, du Québec, des Amériques, du globe tout entier où pullulent tant de ces acariâtres, que j’ai la possibilité d’y retrouver enfin la seule vraie, la pie-grièche qui chatouille les doigts de l’écrivain et, avec ou sans son consentement, finit par se glisser entre les pages de ses écritures. Voilà comment et pourquoi j’ai déposé mes pénates à Montréal. Les événements rapportés plus haut, qui m’avaient fermé la porte de l’enseignement chez moi, ont étrangement contribué à me garrocher par-dessus bord… tribord, bâbord, bon bord… si fait, après toutes ces années, aujourd’hui je sais que ce jour d’octobre 1972, j’ai atterri du côté de mon avenir. Pourtant j’aimais mon coin de pays, j’aimais raconter, mais ne pouvais raconter librement mon peuple que vu de loin. J’ai songé à Gabrielle Roy, Anne Hébert, Marie-Claire Blais, ces exilées… Et je m’établis à Montréal. » (Clin d’œil au Temps qui passe, p. 94-95).

Sa résistance, Antonine Maillet l’a doit à cette mission dont elle s’est sentie investit très tôt dans la vie : celle de défendre les couleurs de l’Acadie, de l’aider à s’établir culturellement, et aussi celle de l’écrire. À ce sujet, l’œuvre phare de Maillet est sans contredit La Sagouine. Au Nouveau-Brunswick, et sans doute partout ailleurs au pays, on connaît beaucoup plus Antonine Maillet comme étant l’autrice de La Sagouine que comme récipiendaire du prix Goncourt pour Pélagie-la-Charrette. La Sagouine est un réel succès populaire, un phénomène de société, qui a su charmer un très large public intergénérationnel. C’est somme toute assez extraordinaire de constater que la Sagouine vole littéralement la vedette au prix Goncourt et à sa Pélagie, mais je ne crois pas que cela déplaise à Antonine Maillet.

En ce qui me concerne, si vous me demandez quelle est mon œuvre préférée d’Antonine Maillet et celle dont je me suis complètement appropriée, je vous répondrai : Les Cordes-de-Bois. J’ai lu Les Cordes-de-Bois pour la toute première fois lorsque j’en avais le plus de besoin, alors que j’étais étudiante à l’Université de Poitiers en licence de lettres modernes. J’étais déjà bombardée en lectures obligatoires de toutes sortes, je ne savais plus trop où me donner de la tête, mais quoi qu’il en soit, j’ai tout de même lu ce roman d’Antonine Maillet, tout à fait par hasard, alors que j’étais à la recherche d’un sujet de dissertation. D’abord, ce charmant titre m’a captivé. Ce dernier a vite fait de me ramener à ma réalité néo-brunswickoise. Voyez-vous, chez nous, en hiver, la maison familiale est chauffée non pas à l’électricité, qui de beaucoup trop cher au Nouveau-Brunswick, ni au gaz, mais on chauffe, encore aujourd’hui, avec des codes de bois qui sont minutieusement cordées avec soin chaque automne dans la cave, prêtes à affronter l’hiver. En fait, les codes de bois d’Antonine Maillet représentaient pour moi tout simplement du bois de chauffage et je trouvais ce titre fort original. Ce roman m’a vite conquise. J’allais en faire, plus tard, avec La Veuve enragée, mon sujet de mémoire de maîtrise de lettres modernes. La lecture des Cordes-de-Bois a été pour moi une véritable révélation. J’ai eu la chance de faire dédicacer mon exemplaire tout défraîchi et abîmé à couverture rouge des Cordes-de-Bois par Antonine Maillet lors du Salon du livre de Montréal de 2019. J’étais tout à fait exaltée. Au tournant des années 2000, j’étais peut-être en France, mais j’allais, de la France, étudier l’œuvre d’Antonine Maillet.

Je vous conseille fortement la lecture des Codes-de-Bois. Ce qui est plaisant dans ce roman, c’est l’explosion de fraîcheur, la vitalité des personnages, dont la Bessoune et la Piroune (cette dernière ayant été interprétée par une certaine Denise Filiatrault au théâtre), une couleur aux accents folks et, assurément, les voix acadiennes qui s’y entremêlent pour donner vie à ce fabuleux tableau, une épopée de vies acadiennes. La différence, pour ne pas dire décalage entre toutes mes lectures dites « obligatoires »de licence de lettres et ce roman d’Antonine Maillet était pour moi quelque chose d’extraordinaire. Aux côtés de ma favorite, les auteurs français, exclusivement masculins, que je devais absolument m’appliquer à lire et parfois à lire et relire encore tant et si bien que certains d’entre eux me laissaient complètement indifférente malgré tous mes efforts, et bien, ces auteurs étaient ternes, en comparaison. En fait, mes autres lectures n’éveillaient pas en moi le même sentiment d’enthousiasme que celle que j’avais ressentie en lisant Les-Cordes-de-Bois. Il n’a pas dû être très difficile pour Antonine Maillet de transposer, au théâtre, l’univers des cordes-de-bois par l’entremise de La Veuve enragée tellement son roman est vivant. Mes coups de cœur littéraires sont très rares, mais Les-Cordes-de-Bois, c’est tout à fait ça, un véritable coup de cœur.

Bientôt, un nouvel ouvrage d’Antonine Maillet viendra s’ajouter à sa bibliographie : Fabliau des temps nouveaux, qui devrait être disponible sous peu en librairie. Dans le cadre de l’édition 2019 du Salon du livre de Montréal, Antonine Maillet avait lu un extrait de cette œuvre inédite. Vous retrouverez quelques extraits sur ma chaîne YouTube.



Lors de sa présentation, Antonine Maillet dit avoir lu le même extrait à une amie aveugle. Quelques mois ont passé depuis le Salon du livre de Montréal, et ce n’est que depuis peu que j’ai fini par réaliser que cette amie aveugle en question pourrait être nulle autre que Viola Léger, l’interprète de la Sagouine. Cette grande comédienne dut se retirer de la scène publique en 2017, après avoir souffert d’un accident vasculaire cérébral. J’adore la sonorité du mot « fabliau ». 

Selon le dictionnaire le Trésor de la langue française, un fabliau est un « conte populaire en vers, satirique ou moral. ». À ce sujet, il aurait été question que ce terme « fabliau », absolument superbe et tellement original, apparaisse comme sous-titre, mais l’éditeur Pierre Filion de Leméac suggéra à Antonine Maillet de plutôt l’ajouter dans le titre. Choix très judicieux qui ouvre toute grande la porte à un autre merveilleux monde de la créatrice qu’il me tarde à découvrir. Plus tard, au courant du mois de mars, également aux éditions Leméac, ce sera au tour de Marc Séguin, dont j’avais bien aimé Nord Alice, de faire paraître son nouveau roman, Jenny Sauro. À noter que ce 12 mars, Antonine Maillet se joindra à Béatrice Picard pour une soirée hommage organisée par la Société littéraire de Laval. C’est un événement à ne pas manquer! Les billets sont déjà en vente, alors faites vite!

18 décembre 2019

À la découverte des membres du jury de l’Académie Goncourt qui ont honoré l’écrivaine Antonine Maillet

Il y a quelque temps déjà, j’annonçais ce projet : de lire au moins une œuvre tirée du répertoire de chacun des membres du jury de l’Académie Goncourt qui ont contribué, il y a 40 ans, en 1979, soit un an avant ma naissance, à faire rayonner Antonine Maillet dans le monde francophone en lui octroyant le prestigieux prix, pour son fabuleux Pélagie-la-Charrette. Sous la présidence distinguée d’Hervé Bazin, rappelons la composition du prix Goncourt 1979. Disons bonjour aux anciens : André Stil (1977-2004), Armand Salacrou (1949-1983), Jean Cayrol (1973-1995), Robert Sabatier (1971-2012), Armand Lanoux (1969-1983), François Nourissier (1977-2008), Michel Tournier (1972-2011), Emmanuel Roblès (1973-1995) et la dernière, mais non la moindre, la toute brillante Françoise Mallet-Joris (1970-2011). En vue de ces commémorations importantes, j’ai décidé de mettre sur pause ma lecture des œuvres de Françoise Sagan. J’espère arriver à compléter la lecture de cette nouvelle série de 10 romans d’académiciens d’ici la fin de l’année, du moins c’est mon objectif. Je crois pouvoir y arriver. Je laisse donc momentanément de côté, Françoise Sagan, mais c’est simplement afin de mieux y revenir. Je ne suis pas le genre de lectrice pouvant lire ininterrompue l’entièreté de l’œuvre littéraire d’un écrivain ou d’une écrivaine, sans m’autoriser à lire autre chose. Ce serait me livrer à un exercice inutilement usant. Sur le long terme par contre, l’un de mes objectifs est de lire l’œuvre de Sagan dans son intégralité.

Ce nouveau défi littéraire me plaît beaucoup, car il me permet de découvrir de nouveaux auteurs et une autrice, sans quoi, je ne les aurais fort à parier jamais lus. De ces membres du jury du prix Goncourt de l’année 1979, je ne connais qu’Hervé Bazin. Je peine par ailleurs à me souvenir si je n’ai jamais lu une œuvre d’Hervé Bazin. C’est tout dire. Je suis donc en mode rattrapage express. Pour ce faire, dimanche dernier, je suis sortie de la Grande Bibliothèque de Montréal avec un lourd sac de livres contenant des romans d’Hervé Bazin, Françoise Mallet-Joris, François Nourissier, Robert Sabatier et Michel Tournier. J’ai lu dimanche en soirée un roman de Françoise Mallet-Joris, Le rempart des béguines. Présentement, j’ai entre les mains Les allumettes suédoises de Robert Sabatier. J’ai emprunté au hasard ce roman de Sabatier, et je dois dire que je n’aurais pas pu faire un meilleur choix. En lisant les premières pages de Les allumettes suédoises, j’ai tout de suite pensé au roman La vie devant soi de Romain Gary. Les allumettes suédoises de Robert Sabatier et La vie devant soi de Romain Gary ont ceci en commun : il s’agit de l’histoire d’un petit garçon orphelin. Or, le style de ces deux romans est fort différent l’un de l’autre. La vie devant soi de Romain Gary est certainement la lecture qui m’a le plus marquée en 2019.

Il s’agit d’un roman pur, bouleversant. Le texte est écrit à la première personne, du point de vue du narrateur qui est un petit garçon orphelin, confié aux soins d’une grosse femme juive, elle-même ex-prostituée qui qui s’occupe d’enfants de prostituée, dont le narrateur de La vie devant soi. Tout au long du roman, l’auteur ne s’égare pas, jamais on ne ressent la présence de l’écrivain, seule la voix omniprésente du jeune garçon se fait entendre, sincère et vraie, d’une manière réellement poignante et saisissante. Que l’auteur de cette œuvre si puissante ait pu se donner la mort, c’est pour moi incompréhensible, tellement La vie devant soi est un roman vibrant. Les allumettes suédoises de Robert Sabatier est tout aussi intéressant, mais d’un autre genre. Un narrateur adulte nous fait découvrir la vie d’Olivier qui vient de perdre sa mère. Les allumettes suédoises est un très beau roman où Montmartre est le théâtre du quotidien d’Olivier. J’ai fait la connaissance de L’Araignée, un homme infirme qui peine à se mouvoir, entre autres choses. L’écriture de ces allumettes est serrée et déborde de détails. Olivier peut bien vagabonder à sa guise dans les rues de Montmartre, mais l’auteur, lui, ne nous laisse jamais à l’abandon. Il nous guide pas à pas dans ce monde dont on peut imaginer sans mal être le sien, tellement le roman est riche et déborde de saveurs.

J’ai également beaucoup aimé lire Le rempart des béguines. Si j’ai entrepris la lecture de l’ensemble des œuvres de Sagan, je crois qu’il en sera de même avec Françoise Mallet-Joris, que je ne connaissais pas avant que ma curiosité ne me penche sur la composition du jury du prix Goncourt 1979. Publié en 1951, Le rempart des béguines fit scandale à sa sortie. Ayant lu ce roman en 2019, je peux comprendre la nature du scandale, dû au fait que Mallet-Joris explore l’univers de l’amour entre deux femmes, l’une adolescente, et l’autre adulte. Or, Le rempart des béguines n’est pas explicitement érotique. Je dirais que le thème du lesbianisme est exploré, certes, mais sans violence sexuelle. Bien que j’ai tassé de côté Françoise Sagan, cette dernière n’est jamais bien loin, parce que je veux qu’il en soit ainsi. Fait intéressant à constater, le tout premier roman de Sagan, Bonjour tristesse, parut 3 ans plus tard, en 1954. Le rempart des béguines, autant que Bonjour tristesse, ont tous deux semés la controverse lors de leur parution. J’aime imaginer que Françoise Mallet-Joris ait facilité l’incursion de Sagan dans le merveilleux monde littéraire, qu’elle lui ait contribué à son intégration. En 1951, Mallet-Joris était âgée de 21 ans et en 1954, Sagan avait tout juste 18 ans, à peine majeur. De plus, fait intéressant à noter, Françoise Mallet-Joris et Françoise Sagan avaient toutes deux le même éditeur : René Julliard. Il semble que le monsieur l’éditeur ait eu le coup de foudre pour de beaux romans sulfureux écrits par de jeunes femmes… Le rempart des béguines, autant que Bonjour tristesse, sont des romans bien écrits, mais je dirais que Bonjour tristesse est d’une écriture pour ne pas dire plus fine ou naturelle, mais peut-être plus sauvage. Décrire le style d’un écrivain est un exercice difficile, voire même périlleux. En affirmant que Bonjour tristesse est d’une écriture plus fine que Le rempart des béguines, je porte quelque part préjudice à Françoise Mallet-Joris. Or, à ma défense, il faut bien que j’écrive quelque chose. Malgré l’excuse de l’écriture, on ne peut pas tout dire, tout écrire. Cela, Yvan Godbout, auteur d’écrits dégoûtants, est présentement en train de l’expérimenter à ses dépens et c’est tant mieux, surtout au sein d’une société où les actes de pédophilies et agressions ne sont pas suffisamment sévèrement punis par la loi. La littérature, même si elle se veut être scandaleuse, doit toutefois demeurer dans le bon goût.

Le bon goût et la bienveillance, même bourgeoise, je l’ai abondamment expérimenté avec ma lecture des romans de Françoise Sagan. J’ai fait cette semaine, une belle découverte, sans lien aucun toutefois avec Françoise Mallet-Joris. Il semblerait que les archives de la Grande Bibliothèque de Montréal, pour l’établissement situé dans le Vieux-Montréal, abritent un trésor : la version manuscrite du roman d’Armand Lanoux, Quand la mer se retire, roman pour lequel il obtint le prix Goncourt en 1963. Lanoux étant un écrivain français, il est étrange que ce précieux manuscrit se trouve à Montréal. Je n’ai pas réussi à retrouver aucune information quant aux Fonds Armand Lanoux détenus par la BAnQ du Vieux-Montréal. Tout ce que j’ai réussi à apprendre, c’est que les Fonds Armand Lanoux ont été acquis de Jean-Guy Pilon en décembre 1972, soit du vivant de l’auteur. Armand Lanoux est décédé en 1983. Jean-Guy Pilon est un homme de lettres québécois qui m’est totalement inconnu.

16 décembre 2019

L’art de la mise en scène dans le roman Des bleus à l’âme de Françoise Sagan


Les jours passent, l’année 2019 tire à sa fin, mais quoi qu’il en soit, je trouve toujours du temps pour lire. Et je trouve toujours du temps pour lire Françoise Sagan. Jusqu’à présent, j’ai lu de Sagan : Un certain sourire; Dans un mois, dans un an; Aimez-vous Brahms?; Le garde du cœur, Avec mon meilleur souvenir, Les quatre coins du cœur, et tout dernièrement, Des bleus à l’âme. Je crois que c’est à peu près tout.

Tout d’abord, il faut savoir que Des bleus à l’âme, roman publié en 1972 aux éditions Flammarion, fait écho à Château en Suède. Publiée et jouée en 1960, Château en Suède est la toute première pièce de théâtre de Françoise Sagan. Château en Suède a également fait l’objet d’adaptations cinématographiques. Pour ma part, j’ai tout particulièrement aimé le téléfilm Château en Suède (2008), réalisé par Josée Dayan. J’ai fait la découverte de ce film il y a quelque temps déjà, sans même savoir qu’il s’agissait de l’adaptation d’une pièce de Françoise Sagan. La distribution du téléfilm Château en Suède est vraiment superbe, avec une certaine Jeanne Moreau dans le rôle de la matriarche, Agathe Falsen. Guillaume Depardieu était réellement destiné à jouer le personnage de Sébastien Van Milhem tellement il brille dans ce rôle qui lui va comme un gant. On retrouve en l’actrice Géraldine Pailhas une Éléonore parfaite et bourgeoise à souhait, mis à part un petit problème, si ce n’est que Sébastien et Éléonore sont décrits par Sagan comme étant des personnages aux cheveux blonds. Or, la belle Géraldine Pailhas, dans la vie comme dans le téléfilm, est brune. Il s’agit là de son seul défaut.

Fait extraordinaire que je devais absolument rapporter : le tournage du téléfilm Château en Suède s’est déroulé ici même à Montréal, à la maison Mary Dorothy-Molson, aussi connue sous le nom de manoir MacDougall, au 9095, boulevard Gouin Ouest. J’aimerais beaucoup m’y rendre, ne serait-ce que pour prendre une photo de l’extérieur du bâtiment. La maison Mary Dorothy-Molson est un sublime manoir qui appartient à la ville de Montréal. Malheureusement, l’endroit ne semble pas être ouvert au grand public. La maison Mary Dorothy-Molson est utilisée que pour des tournages. J’aurais bien aimé payer une visite à la maison Mary Dorothy-Molson, mais seulement pour m’y rendre, j’aurais un trajet de certainement 2 h à faire en transport en commun pour l’aller, et un autre bon 2 h pour y revenir. Surtout avec le froid de l’hiver du moment, l’idée ne m’enchante guère, malgré le fait que c’est en hiver que Château en Suède y fut tourné. Une visite lors des beaux mois d’été serait sans doute plus agréable, surtout sachant que le manoir MacDougall fait partie intégrante du parc-nature du Bois-de-Saraguay.

Le choix de la maison Mary Dorothy-Molson était parfait comme lieu décor de film. Il s’agit d’une maison de villégiature de style néo-géorgien située dans un quartier proprement bourgeois. Située sur la rive de la rivière des Prairies, le territoire qui était alors connu sous le nom de village de Saraguay était prisé au XIXe siècle par l’élite économique de la société montréalaise, dont la grande majorité était essentiellement anglophone. Les terres riveraines de la rivière des Prairies offraient de grands espaces, et ce, à proximité du centre urbain de Montréal, ce qui en faisait un site exceptionnel pour l’établissement de résidences secondaires. De nos jours, onze demeures bourgeoises, dont la maison Mary Dorothy Molson, témoignent de cet âge d’or. Construit vers 1930, le manoir MacDougall est composé de 60 pièces, dont 14 chambres à coucher et 6 salles de bain. Avant de devenir propriété de la ville de Montréal, le manoir a été habité par des membres de la famille Molson-MacDougall de 1930 à 1974. Ce lieu de tournage d’exception en sol montréalais donna l’opportunité à une belle brochette d’acteurs québécois de prendre part à l’aventure du Château en Suède. 

Normand D’Amour est absolument parfait dans le rôle d’Hugo Falsen. Sébastien Huberdeau interprète le rôle d’Olivier, et Antoine Bertrand, Gunther. Tous les acteurs québécois ont bien réussi leur transition dans le cinéma français. On n’y voit que du feu. Normand D’Amour, Sébastien Huberdeau et Antoine Bertrand ont réussi à relever le défi : leur « français de France » est parfait, une mention spéciale devant être faite à la belle performance de Normand D’Amour. Jouant un des rôles principaux, D’Amour avait un bon nombre de répliques. Il a joué brillamment. À un point tel qu’on pourrait s’y méprendre et le considérer comme étant comme un acteur français. Ce mélange d’artistes français et québécois a su apporter une distinction et des couleurs à cette pièce, qui est très certainement devenue très vite un grand classique de Françoise Sagan. Car qui ne raffole pas des Van Milhem ne peut aimer Sagan.

Dans les Des bleus à l’âme, Sagan s’amuse à faire de petites apparitions surprises pour nous surprendre, nous, lecteurs. Ce charmant roman, Françoise Sagan le dédit à Charlotte Aillaud, sœur de Juliette Gréco, que Sagan rencontra peu de temps suivant ses débuts littéraires. Dès les premières pages Des bleus à l’âme, Sagan nous fixe dans le temps, mars 71, et dans un espace, un Paris qui n’est plus que l’ombre d’elle-même : 

« J’aurai aimé écrire : “Sébastien montait les marches quatre à quatre, en sifflant et en soufflant un peu.” Cela m’aurait amusée de reprendre maintenant les personnages d’il y a dix ans : Sébastien et sa sœur Éléonore, personnages de théâtre, bien sûr, mais d’un théâtre gai, le mien, et de les monter fauchés, toujours gais, cyniques et pudiques, essayant en vain de se “refaire” à la Maurice Sachs, dans un Paris désolé de sa propre médiocrité. » (Françoise Sagan, Des bleus à l’âme, Éditions Stock, 2009, p. 11).

J’ai aimé la lecture Des bleus à l’âme. Il est encore trop tôt pour dire quelle œuvre de Françoise Sagan je préfère, mais jusqu’à présent, ma préférence pointe en direction Des bleus à l’âme. Lorsque je termine un roman de Sagan, je peine toujours à me remémorer l’action de ses romans. C’est que tout son charme réside en la beauté de son écriture. En ce sens, ses premiers romans, dont Un certain sourire; Dans un mois, dans un an; Aimez-vous Brahms? Sont sans doute ses plus beaux. J’ai également beaucoup apprécié Le garde du cœur, qui prend pour théâtre le milieu du cinéma américain. Ce qui est particulièrement délicieux dans Des bleus à l’âme, c’est les apparitions-surprises de l’écrivaine à ses lecteurs. Sagan s’y représente comme tel, avec ses vices, y compris son amour pour les boîtes de nuit, le whisky, et conduire sa Ferrari pieds nus en revenant d’un après-midi passé à la mer…

11 décembre 2019

De Stupeur et Tremblements à Hygiène de l’assassin, à la découverte d’Amélie Nothomb

Amélie Nothomb a beau être dans le paysage littéraire depuis plusieurs années, mais je n’avais jamais lu, jusqu’à tout récemment, aucun de ses romans. C’est un collègue de travail qui m’a incité à la lire. Personnellement, je tends à fuir comme la peste les auteurs contemporains qui connaissent un succès populaire. Ces auteurs (et autrices), je les connais, bien sûr, mais je ne les lis pas. Quelques noms? Alexandre Jardin, Éric-Emmanuel Schmitt, Frédéric Beigbeder, et surtout, Virginie Despentes… J’ai une sainte horreur de ces femmes ex-prostituées qui s’improvisent écrivaines d’un soir. Vais-je faire une exception pour Emma Becker qui a tout récemment remporté le prix du roman des étudiants France Culture/Télérama pour son roman autobiographique La maison? Je ne ferme pas la porte à Emma Becker, mais c’est uniquement parce que j’ai écouté son entretien à Tout le monde en parle (version québécoise de l’émission animée par Guy A. Lepage). 

Il m’a semblé, malgré son expérience de « putain », elle-même employait ce mot disgracieux dans son discours, qu’une certaine douceur émanait de la personne d’Emma Becker. Malgré mes préjugés évidents que j’assume totalement, je ne ferme jamais la porte à un écrivain. Après tout, il serait dommage de se priver d’une belle découverte, peu importe la raison. En littérature, comme dans tout autre art, il faut toujours garder l’esprit ouvert. Par exemple, j’ai oui, une sainte horreur de ces ex-prostituées qui deviennent comme par magie autrice. Or, j’adore Nelly Arcan. J’ai eu un coup de cœur pour son roman Folle. Quelle grande écrivaine! Vous pouvez donc le constater, je ne suis pas une personne fermée d’esprit, mais j’aime les femmes fortes et sans chichi, qui écrivent sur de sujets autres que la prostitution. N’importe quel sujet, mais pas d’histoires de fesses s’il-vous-plaît. Je trouve que la société d’aujourd’hui est déjà suffisamment envahie par l’hyper sexualisation, je n’ai pas envie d’en rajouter davantage en consommant de mon plein gré de la pornographie littéraire, mais retournons à nos moutons…


J’ai tout d’abord débuté mon introduction à l’univers d’Amélie Nothomb avec la lecture de son roman Stupeur et Tremblements, publié chez Albin Michel en 1999. La même année, ce roman remportait le Grand prix du roman de l’Académie française. Pour moi, ce choix était évident, c’était à peu près le seul roman que je connaissais d’Amélie Nothomb. J’avais vu déjà l’adaptation cinématographique de Stupeur et Tremblements grâce à laquelle j’avais fait la découverte de la grande Sylvie Testud. Cette dernière a d’ailleurs interprété Françoise Sagan dans un film portant sur la vie de l’écrivaine. J’aimerais d’ailleurs voir ce film, Sagan.

Quant au film Stupeur et Tremblements, celui-ci à l’époque m’avait beaucoup plu. Je savais donc ce qui m’attendait avec la lecture de ce roman. Comme première lecture d’Amélie Nothomb, je n’ai pas été déçu par mon choix. Imaginez-vous donc que j’ai lu Stupeur et Tremblements d’une traite, en l’espace d’une seule soirée seulement. J’ai l’habitude de lire. Je lis habituellement à assez bon rythme, mais lorsqu’une œuvre me plaît, comme ce fut le cas avec Stupeur et Tremblements, mon travail de lectrice n’en est que simplifié. J’arrive alors à lire très rapidement. J’ai dévoré ce roman page après page. Fidèle à mon habitude, je ne vous ferai pas un compte rendu très détaillé du roman Stupeur et Tremblements car, comme pour les œuvres à caractère sexuel, j’ai aussi une sainte horreur des comptes rendus d’œuvres littéraires.

À la lecture de Stupeur et Tremblements, j’ai été choqué, d’une part, parce que le talent évident d’Amélie Nothomb pour les affaires n’a pas du tout été exploité par l’entreprise japonaise qui l’employait. Pourquoi faire l’embauche de personnel si ce n’est que dans l’objectif ultime de malmener les gens, sans les amener à exploiter leur plein potentiel pour l’entreprise qui leur paie un salaire? Le fait que Nothomb puisse être en mesure d’écrire le japonais, de communiquer dans cette langue, m’a aussi beaucoup impressionné. Nothomb en témoigne dans son roman : elle avait une vie en dehors de ce travail, elle avait des amis qui tenaient à elle et sur qui elle pouvait compter. C’est sûrement cela d’ailleurs qui la sauver de la noyade. Suivant son départ de l’entreprise japonaise qui lui a fait vivre un calvaire, Amélie Nothomb a mis en chantier l’écriture de son roman, Hygiène de l’assassin.

Faisant suite à ma lecture de Stupeur et Tremblements, je tenais à poursuivre, en lisant le tout premier roman d’Amélie Nothomb. Et quel roman! Hygiène de l’assassin est d’une lecture captivante. J’ai maintenant envie de vous dire qu’avec un roman d’Amélie Nothomb entre les mains, il vous sera impossible de vous ennuyer. J’ai maintenant à mon actif la lecture de deux romans d’Amélie Nothomb, soit Stupeur et Tremblements et Hygiène de l’assassin, mais fort heureusement, l’œuvre de la romancière est riche, et j’aurai le plaisir, dans les moins à venir, à lire l’ensemble des romans qui composent sa bibliographie. Malgré son succès, je suis très heureuse aujourd’hui de ne pas avoir complètement tourné le dos à Nothomb.


Hygiène de l’assassin est d’une lecture délectable, si on peut dire d’une lecture qu’elle peut être de ce niveau de bonheur. Il s’agit essentiellement de dialogues entre différents journalistes, et un auteur âgé, Prétextat Tach, qui est atteint d’un mystérieux cancer incurable. L’homme se sait condamné. Avant de s’éteindre dans sa gloire littéraire, l’écrivain accorde quelques entrevues. Le style d’Amélie Nothomb est franc et agile, le style du dialogue se mariant très bien à tout ce qui s’y passe dans ce roman. Nothomb nous tient en haleine jusqu’à la toute fin, jusqu’à la mort du protagoniste. Dans le présent contexte de blogue littéraire, Hygiène de l’assassin contient plusieurs trésors thématiques, dont celui des lecteurs, et de la lecture. Voyez-vous, le rôle du lecteur est essentiel, car un bon lecteur peut même être en mesure de résoudre une histoire sordide de meurtre dune jeune adolescente...


Curieusement, les journalistes qui viennent tour à tour interroger Prétextat Tach semblent être peu familiers avec son œuvre. Certains l’ont peu ou même pas lu du tout. Or, la dernière journaliste, que j’imagine aisément sous les traits d’Amélie Nothomb, invitée à l’interviewer fait figure d’exception. Cette journaliste, la seule femme ayant pu bénéficier du privilège d’interviewer le récipiendaire du prix Nobel de la littérature, a tout lu de lui, y compris son roman inachevé, qui porte le même titre que celui de Nothomb, Hygiène de l’assassin. N’est-ce pas délicieux? La journaliste, sentant le bon filon, mène son enquête, et de fil en aiguille, découvre le secret de Prétextat Tach. Il faut définitivement lire Hygiène de l’assassin, il s’agit d’un très bon divertissement, vous passerez un très bon moment en compagnie d’Amélie Nothomb qui n’était, si je ne me trompe pas, âgée que de 25 ans lors de la parution de ce premier roman.

9 décembre 2019

Nathalie Petrowski présente ses mémoires à l’occasion de la 42e édition du Salon du livre de Montréal : La critique n’a jamais tué personne

J’ai complété plus tôt la lecture des mémoires de Nathalie Petrowski, La critique n’a jamais tué personne, publiées cette année aux Éditions La Presse. 


J’ai par la suite immédiatement enchaîné avec un roman vraiment génial de Françoise Sagan : Des bleus à l’âme. C’est un véritable délice pour moi que de retrouver les héros de son Château de Suède. J’avance très bien dans mes lectures, mais pas nécessairement dans l’ordre qui était prévu au départ. Par les temps qui courent, j’aime tellement lire, c’est la raison pour laquelle j’écris si peu. Lire ou écrire, il faut choisir. Il est toujours possible de concilier les deux, mais l’exercice d’écriture demeure tout de même un peu plus exigeant.

Revenons à Nathalie Petrowski. Dans le milieu journaliste, Nathalie Petrowski, est une référence. J’ai toujours aimé la lire dans le journal La Presse. J’ai surtout développé mon intérêt envers elle lorsque j’appris, il y a déjà quelques années de cela, qu’elle était née à Nancy, en France. Je suis diplômée de l’Université de Nancy 2, où j’ai obtenu, il y a déjà malheureusement plusieurs années de cela maintenant, un DEA (qui tient pour « diplôme d’études approfondies ») en linguistique. En raison de la réforme universitaire européenne qui a emboîté le pas à la nouvelle monnaie, l’Euro, qui eut pour effet de me chasser de la France, ce diplôme aujourd’hui porte un autre nom. Je ne regrette pas mon départ de la France. La France que j’ai connue avant la venue de l’Euro était beaucoup plus sereine, plus calme et plus accessible, tant financièrement que sur le plan humain. L’après 11 septembre 2001 eu également des conséquences dévastatrices sur l’Europe. Si je serais étudiante aujourd’hui, probablement que je ne me risquerais pas à vivre une expérience à l’étranger. 

Il est plutôt rare d’entendre parler de la belle ville de Nancy. Étrangement, le fait de savoir que la grande Nathalie Petrowski y est née m’a toujours apporté le sentiment d’une certaine fierté. Je ne saurais trop expliquer la raison à cela, sinon qu’une toute petite partie de moi est toujours française et se sent liée à la France. Voici Nathalie Petrowski qui prend la pose pour moi au kiosque de La Presse, au Salon du livre de Montréal.





Et voici sa dédicace :






En me présentant à son kiosque, Nathalie Petrowski m’a demandé si j’étais journaliste, ce qui me fit grand plaisir. D’une certaine façon, de par ce blogue, on peut considérer que je suis en quelque sorte une pseudo journaliste-blogueuse qui travaille à la pige et pour son propre compte (ce qui, malheureusement, ne rapporte pas grand-chose, sinon que la satisfaction d’être lue à l’international par des internautes venant d’un peu partout à travers le monde).

Dans ses mémoires, je n’ai retrouvé que deux allusions vite faites à Nancy, dont l’une sous une photo ou on voit Petrowski petite-fille, à l’âge de deux ans, chez sa grand-mère à Nancy (La critique n’a jamais tué personne, p. 15), et une allusion, témoignant des difficultés expérimentées par son père :

« Mon père, le fils de deux immigrants ukrainiens, m’a d’ailleurs rappelé qu’en grandissant à Nancy, en France, il se faisait régulièrement traiter de Petzouille ou de Petrowscouille par les petits Français qui se moquaient de lui. » (La critique n’a jamais tué personne, p. 121).

J’ai toujours adoré son patronyme. Ce nom, c’est aussi sa marque de commerce.

On comprend que la ville de Nancy n’a peut-être pas laissé que de bons souvenirs à la famille Petrowski. En France, l’intégration des immigrants peut être difficile. Plus les différences sont marquées, plus l’intégration y est difficile. Pour ma part, j’arrivais sans trop de mal à me fondre dans la masse, sauf quand j’ouvrais la bouche. Seul mon accent brayon du nord-ouest du Nouveau-Brunswick venait trahir mes origines. Et j’étais à Nancy dans l’unique objectif d’y obtenir un diplôme, et non pour y faire ma vie. Je ne regrette pas ces années passées à Poitiers, et ensuite, à Nancy, car j’ai tout de même réussi à y décrocher mes trois diplômes universitaires.

En plus d’Antonine Maillet, la 42e édition du Salon du livre de Montréal m’a donc, entre autres, donné l’occasion de rencontrer une de mes idoles journalistiques. Il y a eu un échange très intéressant qui s’est tenu à la scène de l’Agora entre Nathalie Petrowski et sa collègue Michèle Ouimet, également journaliste à La Presse. 







Tout comme Petrowski, Michèle Ouimet a elle aussi publié ses mémoires, Partir pour raconter, chez Boréal. Lors de cet échange, une dame a demandé à Nathalie Petrowski qu’elle serait le meilleur conseil qu’elle aurait à donner à sa fille journaliste. Ce à quoi l’ex-journaliste de La Presse a répondu : de toujours vérifier ses sources, de ne pas faire confiance aux attachés de presse et de toujours tout remettre en question. En ayant maintenant lu La critique n’a jamais tué personne, je comprends mieux maintenant toute la portée de ces conseils. Au courant de la carrière, Nathalie Petrowski a vécu de bons et de moins bons moments, mais la somme de toutes ces expériences a façonné la journaliste qu’elle est devenue aujourd’hui.

Lire les mémoires de Nathalie Petrowski, c’est se plonger dans une époque inconnue de plusieurs : celle des salles de rédaction des années fins 70, début 80, où œuvrait comme des déchaînés les journalistes, et des salles de rédaction embaumée par une riche fumée de cigarette avec comme bruit de fond un crescendo de doigts courant agilement sur le clavier de grosses machines dactylos… Toutes ces activités, comment les choses journalistiques se passaient à ses débuts, Petrowski le décrit très bien. Imaginez devoir recommencer à taper à la machine toute une page en raison d’une toute petite faute de frappe… Car c’était ainsi à l’époque. Si une faute était faite, on devait tout recommencer… Ce travail infernal, Petrowski le décrit très très bien. Je l’imagine sans peine, recommençant 20 fois son travail, déchirant avec énergie les pages maudites ratées… Un vrai travail de moine. Sachant cela, on aurait pu croire que l’arrivée des ordinateurs en salle de rédaction aurait eu de quoi ravir ses collègues journalistiques. Or, ce ne fut pas le cas. On redoutait l’arrivée de l’informatique. Toutefois, une fois adoptée, le changement fut évidemment bénéfique pour tout le monde.

En raison de mon âge, bien que j’aurai bientôt 40 ans, je n’ai pas connu une bonne partie de ce qu’elle décrit dans ses mémoires et cet aspect des choses est particulièrement intéressant. Personnellement, je suis l’actualité rigoureusement depuis environ les 15 dernières années, depuis la fin de mes études. C’est donc grosso modo 25 ans de la vie journalistique de Nathalie Petrowski qui m’a échappé et dont je ne suis pas familière. La lecture de ses mémoires m’a permis de prendre conscience de tout le chemin qu’elle a parcouru, avant même que je ne la lise régulièrement dans La Presse.

Nathalie Petrowski témoigne avec fougue de ce qui fut son quotidien pendant près de 40 ans de travail journalistique. Son travail a occupé une grande place dans sa vie. Dans les années 90, il n’était pas facile d’être une femme journaliste. Il est difficile pour les femmes de ma génération d’imaginer un monde dans lequel une femme pouvait perdre son emploi simplement parce qu’elle était enceinte. Petrowski et ses collègues féminins ont mené de durs combats que nous, femmes d’aujourd’hui, n’aurons, souhaitons-le, jamais à mener. On se doit de lire La critique n’a jamais tué personne, ne serait-ce que pour ce témoignage féministe, afin de ne pas oublier qu’à une époque pas si lointaine, les femmes ne bénéficiaient pas des mêmes droits que les hommes.

Laurence Salacrou, la femme qui écrit la vieillesse

Beaucoup de choses se sont passées depuis la publication de mon dernier billet, en mars de cette année. Le coronavirus a rapidement pris tou...